Approbation de la disposition d’indulgence provoquée en faveur de l’Indien Mataïtiroa Lettre du 27 février 1846
Cette lettre manuscrite de deux pages est conservée dans un des recueils de la Correspondance du Ministre Secrétaire d’État de la Marine et des Colonies au Gouverneur des Établissements français de l’Océanie. Le Ministre est le baron de Mackau, Vice-Amiral, Pair de France ; le Gouverneur est Armand Bruat, installé dans ses fonctions depuis le 9 novembre 1843.
Cette lettre est datée du 27 février 1846. Elle est arrivée à Tahiti le 25 octobre 1846 par le navire Hercule. Le Ministre répond à un courrier de Bruat en date du 3 juin 1845.
À cette date, la Reine est “réfugiée” à Raiatea. En son absence, Paraita a été nommé Régent le 7 janvier. Le calme est revenu à Tahiti. Bruat essaie alors de promouvoir l’influence française aux Îles Sous-le-Vent, par l’envoi de navires et l’organisation de fêtes au cours de longues escales. Les Anglais en font autant, refusant de reconnaître que ces îles soient concernées par le Protectorat français. Mais à Huahine, un Français résident qui a été nommé représentant officiel du Gouverneur, hisse le pavillon du Protectorat. Le 15 avril, “apprenant cette nouvelle, Ariipaea, qui réside avec sa nièce en exil à Raiatea, s’embarque aussitôt pour Fare, fait abattre le mât et ramène avec elle les chefs” présents à la cérémonie. Le résident va être alors exposé à des vexations de plus en plus graves[1]. Dès lors, Bruat demande des renforts à Paris.
Quant à Pomare, en mars, elle avait éconduit le couple Salmon venu en ambassade pour la persuader de revenir, déclarant : « J’attends l’aide de l’Angleterre qui ne m’a pas encore dit qu’elle ne m’aiderait pas. Mon peuple est sous les armes et il l’attend comme moi. C’est pourquoi je n’irai pas. Ne m’en veuillez pas»[2]. Elle suit de près ce qui se passe à Tahiti, mais elle ne dispose plus de son agent de renseignements Mataitiroa. Celui-ci, pendant les combats de 1844, faisait la liaison entre elle, les insurgés et le Consul anglais Miller, lequel lui avait accordé un laissez-passer en novembre 1844, “demandant à ce qu’il ne soit pas molesté“. Mataitiroa, pris sur le fait par le parti pro-français, est accusé d’attentat contre la sûreté intérieure de l’État et de rebellion[3].
Dans cette lettre, le Ministre rappelle ce « procès criminel qui a été intenté contre le nommé Mataitiroa, à l’occasion de menées politiques dont il s’est rendu l’instrument, procès à la suite duquel cet Indien a été condamné au bannissement par la Haute Cour Indigène », . Par la suite, Bruat s’est intéressé à cet homme, qui a fait “des révélations” et “a manifesté du repentir“, et il a informé le Ministre qu’il a dû “devoir provoquer sa grâce“.
Le Ministre approuve complètement l’attitude de Bruat, et le félicite pour son habileté. « J’ai surtout à louer le soin que vous avez eu de faire prononcer la grâce en question par le Régent Paraita après avoir consulté les sept grands juges. Le mérite de cet acte de clémence, intervenu à l’occasion de la fête du Roi[4], remonte ainsi au Gouvernement français sans qu’il ait été porté atteinte, en la forme, au principe de la souveraineté intérieure ».
Dans L’Océanie française n° 53 du 4 mai 1845, on lit[5] : Le 1er mai, jeudi, M. le gouverneur, commissaire du Roi, sur la proposition qui lui en a été adressée par les juges de la haute cour indigène, a fait grâce, au nom du Roi des Français et à l’occasion de la fête de S.M., à l’indien Mataitiroa qui, le 8 du mois de janvier dernier, avait été arrêté et condamné à l’exil perpétuel comme convaincu d’intelligences coupables avec les camps d’insurgés. Cet homme, qui jusqu’à [présent a] été détenu à bord de la frégate l’Uranie, [a] manifesté, les yeux pleins de larmes, le plus vif [re…], et il a promis de se montrer digne, par sa conduite à venir, de la clémence dont il est l’objet. – “Ma faute a été très grande, nous a-t-on rapporté qu’il a dit au gouverneur en présence de tous les chefs, et la grâce que m’accorde le Roi Louis-Philippe ne doit pas effacer en entier la peine que les juges ont prononcée contre moi. Assigne-moi le district, le coin de la terre de Tahiti où tu désires que je me retire désormais, et je vais m’y rendre à l’instant. – La clémence du Roi est sans réserve, lui a répondu le gouverneur ; va, tu es libre d’aller où il te plaira. Toutefois tu as un chef, Hitoti, duquel tu dépends ; c’est à lui que je te remets ».
« Cet événement inattendu, et qui a été pour la population indigène une nouvelle preuve que l’intervention française dans leurs affaires doit être un pouvoir modérateur et tout de bonté plutôt que sévère, a produit un effet admirable sur cette masse de naturels qui étaient venus prendre part à la fête.».
Le Ministre conclut en estimant, au vu du rapport de Bruat, « que son zèle pourra désormais être utile à la cause française ».
[1] Le Mémorial polynésien, tome II, pages 333-334, 1978.
[2] De La Roncière, La Reine Pomaré, L’Harmattan, 2003.
[3] O’Reilly, Tahitiens, 1975.
[4] Sous le règne de Louis-Philippe, la fête du Roi avait lieu le 1er mai.
[5] Quelques mots de cet article sont illisibles.
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