Ce petit livre relié de 13,5 par 21,5 cm comporte Xiii + 120 pages. C’est la relation, en anglais, du voyage du brick (en anglais brig) Mercury. Parti de Gravesend (Angleterre, rive sud de la Tamise) le 26 février 1789, il rallia successivement Teneriffe, Tristan da Cunha, le Cap de Bonne Espérance, l’île Amsterdam, la Tasmanie, Tahiti (le 12 août), Hawai’i, les côtes de l’Alaska, Macao et enfin Canton le 1er janvier 1790. C’était un navire de 152 tonneaux, doublé en cuivre, armé de 16 canons, d’environ 30 mètres de longueur. Il avait deux mâts, et était gréé en voiles carrées avec une brigantine à l’arrière. Rapide et maniable, très répandu de la fin du XVIIè au milieu du XIXè siècle, le brick était le navire de prédilection des pirates et des corsaires. Il était utilisé également pour le commerce, l’exploration et la guerre.
Son commandant était John Henry Cox (1750-1791). C’était un habile commerçant, connaissant bien les côtes est et ouest de l’Océan Pacifique. Pensant pouvoir tirer profit de la guerre entre la Russie et la Suède, il proposa au roi de Suède Gustave III de s’attaquer aux intérêts russes sur les côtes orientales d’Asie et sur les côtes occidentales nord-américaines, plus particulièrement concernant le commerce des fourrures et des peaux. Il mit à la disposition du roi son bateau, rebaptisé secrètement Gustaf III, mais gardant aux yeux du monde son nom Mercury. Un contrat fut signé le 11 novembre 1788.
Il semble que Cox aurait eu l’intention d’utiliser ce contrat plus comme une “arme commerciale” vis à vis des concurrents plutôt que de causer des dommages aux Russes. D’ailleurs le récit de Mortimer ne fait aucune mention d’utilisation de l’artillerie du navire, sauf à blanc pour chasser les Tahitiens trop envahissants. (Signalons qu’un traité russo-suédois fut signé le 14 août 1790, empêchant de fait la conduite d’actions hostiles.)
George Mortimer était lieutenant de marine. Il est probable qu’il quitta Cox à l’arrivée à Canton. En effet, Cox profita de cette escale pour désarmer son bateau, l’équipant différemment pour reprendre une navigation purement commerciale.
Son récit ne comporte pas de chapitres. Il est divisé en paragraphes de longueur très variable. En marge, l’auteur a mentionné la chronologie du voyage, au jour le jour.
Ce qui nous intéresse plus particulièrement, ce sont les quarante-sept pages qu’il consacre à Tahiti et aux îles avoisinantes.
Le Mercury jeta donc l’ancre le 12 août 1789 dans la baie de Matavai.
L’auteur prévient d’emblée que le capitaine Cook et les gentlemen qui l’accompagnaient ont si bien décrit Tahiti, les us et coutumes de ses habitants, son climat, ses productions, qu’un nouveau compte rendu détaillé serait superflu. Il s’est donc contenté les événements vécus au cours de son séjour.
Il fut accueilli par le chef de Matavai Poneow. Il s’agit de Poino, dont la particularité était d’avoir conservé le portrait de Cook, au dos duquel le capitaine Bligh avait écrit quelques mots avant son départ le 4 avril 1789 (quatre mois avant l’arrivée du Mercury).
Tout le temps de leur escale, le navire fut envahi par une foule de curieux.
Mortimer aperçut, en se promenant, des espaces plantés de légumes provenant de graines fournies par différents visiteurs, mais complètement envahis de mauvaises herbes, « totalement négligés par les indigènes qui ne leur accordaient aucun intérêt » .
Il était très étonné de l’intérêt porté aux étrangers : « Nous ne descendîmes jamais à terre sans être suivis d’une foule de personnes des deux sexes et de tous âges, qui s’efforçaient de se tenir tout près de nous et nous toucher, certains nous caressant le dos et les côtés, d’autres admirant nos vêtements». Ils se disputaient pour les porter quand leur chemin était traversé par un ruisseau.
Itia, la femme de Tu (Pomare Ier), vint leur rendre visite le 16, suivie de Tu lui-même. Ce dernier manifesta son plaisir de les rencontrer, leur serrant la main et s’enquérant de leurs noms. Il fut étonné qu’un navire si petit (par rapport à ceux qu’il avait vus auparavant) ait pu venir d’aussi loin « sans balancier, comme ils en ont, accrochés à leurs pirogues » .
Le même jour, Mortimer se rendit, avec un officier du Mercury, à la demeure de Poino. Avant d’en repartir, on massa leurs membres (Taueumee = taurumi). Puis ils se rendirent à un heiva, qui avait été organisé pour les divertir. « Le spectacle comprenait des danses, des textes chantés, des saynètes, avec accompagnement de battements de tambours. Les acteurs étaient des deux sexes et s’acquittaient avec beaucoup d’habileté de leurs rôles respectifs. Les batteurs se montraient particulièrement doués, suivant le rythme avec précision et adaptant le son de leurs tambours aux mouvements des danseurs. Nous ne pouvions pas bien comprendre les thèmes de leurs comédies […]». Ce qui était certain, c’est que les scènes déclenchaient l’hilarité des spectateurs. Mortimer observa que lui et ses compagnons étaient parfois la risée des Tahitiens. « S’ils étaient témoins d’une de nos actions, à bord du navire, qui leur semblait ridicule ou absurde, ils ne manquaient pas de la parodier avec une grande exagération.» Ils assistèrent à plusieurs heiva, le dernier étant « plus particulièrement indécent et lascif» . Il raconte la mésaventure d’un des marins tombé amoureux d’une danseuse. Il projetait de l’emmener à bord, mais quand elle eut retiré son « attirail de scène » , il s’aperçut que c’était un « joli et fringant garçon ».
Ils purent constater que Tu était un grand buveur, qui ingurgitait « des rasades de vin à la santé du roi George avec autant de rapidité que nous en mettions à remplir son verre ». Il disait qu’il souhaitait être légèrement ivre, comme il l’était souvent à bord du navire du capitaine Bligh.
« Nous remarquâmes que ses sujets étaient peu respectueux envers sa personne. » Tu dormit presque toutes les nuits à bord. Il manifesta parfois un caractère puéril. Ainsi, il fit une crise de jalousie, pleurant en voyant qu’on avait offert à sa femme une paire de ciseaux avec une chaîne pour les suspendre. Il se calma quand il en reçut à son tour.
Mortimer avait de l’admiration pour Itia : « C’est une femme sensible et intelligente […] Elle se sert d’un couteau et d’une fourchette presque aussi bien qu’une Européenne ; et elle adore le thé. Sa Majesté est une excellente tireuse, et atteignit notre bouée dès son premier coup de feu, avec une seule balle, bien qu’elle fût à une grande distance du bateau ».
La présence de Tu (et de sa suite) sur le navire gênait l’équipage, mais on ne le chassa jamais, ce qui n’était pas le cas pour le reste de la population.
Mortimer consacre plusieurs pages à une expédition menée avec le cotre à Moorea. Ils assistèrent, entre autres, à un combat (ou plutôt une escarmouche) au cours duquel il semble que leur présence fit battre en retraite les ennemis de ceux qui les avaient accueillis.
Ils abandonnèrent le matelot Brown à Tahiti. Homme violent quand il avait bu, il allait être sous la protection de Tu.
Le 31, ils reçurent la visite de Potatow (Pohuetua), « l’ami du capitaine Cook ».
Puis ils firent voile vers Tetiaroa le 2 septembre.
Ils traversèrent l’équateur le 10 et atteignirent Hawai’i le 20.
Ce dossier est composé d’une dizaine de documents manuscrits, datés du 17 juillet au 16 août 1906, sauf un sans date mais correspondant au début de cette période. Quelques-unes des feuilles présentent des trous causés par la vermine, ce qui rend la compréhension des textes difficile.
Les auteurs de ces écrits sont : – le Président du Conseil de District de Vairao Tetuaiterai – le Chef de cabinet du Gouverneur – le Lieutenant Commandant de la gendarmerie de Tahiti Bonnemaison – le Gendarme Jean Mamy, de la brigade de Taravao – le Commissaire de police de Papeete Quesnot – le Commandant de la brigade de Taravao, le Maréchal des logis GuillotL’affaire commence par une note manuscrite en tahitien du Président du Conseil de district de Vairao, traduite pour le Gouverneur par l’interprète Cadousteau : « Salut ! Des richards ont invité tout récemment des Tahitiens à aller en Amérique pour y exécuter des danses et des chants d’himene. J’ai appris que, dans mon district, il y en a quelques-uns qui doivent y aller. Voyez, je vous prie, s’il n’y a aucun inconvénient à cela ».
Le texte en tahitien est recouvert de quelques lignes en diagonale, de la main du Chef de cabinet du Gouverneur : « Confidentiel – Communiqué pour enquête d’urgence à Monsieur l’Agent spécial de Taravao – Suivant les renseignements verbaux fournis hier par le Chef, une quinzaine d’indigènes seraient sur le point de partir, recrutés vraisemblablement par la famille Salmon – V. notamment s’il y a des mineurs ».
Le Commandant de la Gendarmerie à Tahiti va alors mener l’enquête.
D’abord, il reçoit un rapport du gendarme à pied Jean Mamy, « revêtu de notre uniforme, et conformément aux ordres de nos chefs, chargé de prendre des renseignements au sujet d’un engagement qu’aurait contracté certains indigènes du district de Vairao avec l’un des fils Tati Salmon de Papara, qui, à la suite de cet engagement, les conduirait à San Francisco où il leur ferait exécuter des danses tahitiennes où autres excentricités moyennant rétribution […]». Les renseignements qu’il obtient auprès de deux habitants du district sont qu’effectivement, le fils Tati Salmon « le manchot» a embauché douze ou quinze jeunes pour présenter à San Francisco « des danses indigènes, des tours de force et excentricités». Les deux témoins ignorent les conditions de l’engagement.
Le Commissaire de police Quesnot apporte le 17 juillet un supplément d’informations : il y aurait « huit hommes et sept femmes engagés par Tauraa Salmon pour faire une tournée de danse et d’otea par toute l’Amérique, notamment à San Francisco, à New-York, à Chicago et peut-être même en Europe. Des engagements auraient déjà été contractés dans différentes villes d’Amérique par l’entrepreneur de ce genre de spectacle. Les indigènes emporteraient avec eux deux ou trois cases indigènes démontables et feraient une campagne d’au moins un an» .
Le 19 juillet, le Maréchal des logis Guillot, commandant la brigade de Taravao, se rend à Vairao. Là, apprenant que « le départ de ces indigènes ne devait avoir lieu que par le courrier Mariposa d’août », il demande au Chef de lui envoyer ces personnes au fort de Taravao. Ces « braves gens » viennent « en deux groupes, les 20 et 21 courant », au total « quarante et un parmi lesquels il y a des femmes et des mineurs ». Guillot les sermonne, les engageant à bien réfléchir et « leur a fait entrevoir qu’ils avaient de belles terres à mettre en valeur et qu’ils trouveraient moins d’aléas à cultiver leurs terres qu’en allant dans l’inconnu». Il leur précise qu’en cas de départ, ils doivent s’assurer que leur passage de retour sera bien financé par un dépôt d’argent auprès de la compagnie de navigation.
Il ajoute que c’est l’ancien Chef de Vairao, « le Sieur Uira, qui travaille pour le compte de Monsieur Tati Salmon », qui les a recrutés. Un état nominatif accompagne ce rapport.
Le 26 juillet, le Président du Conseil de district de Vairao, apparemment très mécontent de cette affaire, écrit à nouveau au Gouverneur (lettre en tahitien, traduite). D’abord il le remercie d’une lettre « dont je suis particulièrement satisfait». Puis il lui rapporte les propos entendus la veille de la bouche de celui qui a recruté ses administrés. Il « leur a exprimé toute sa satisfaction pour avoir bien suivi ses instructions. Il leur a ajouté ceci : Tout ce qu’on vous a dit pour vous effrayer n’est que mensonge. […] N’ayez aucune crainte, il ne vous arrivera rien […]».
Le Peretiteni no te apooraa mataeinaa no Vairao est indigné : « Dites-moi, je vous prie, si des étrangers peuvent organiser impunément des réunions d’himene ou de danse qui sont préjudiciables aux intérêts des gens puisqu’elles entraînent ces derniers à abandonner leurs plantations ». Il termine sa lettre par des propos où se mêlent puritanisme et patriotisme : « Ce qui est pire encore c’est de voir les enfants apprendre toutes les danses obscènes de leurs parents. Il est regrettable que, pour la Fête nationale, ils trouvent moyen de s’excuser, et qu’ils soient au contraire pleins d’entrain pour donner des fêtes à des étrangers» .
Le 1er août, le Maréchal des logis Guillot envoie un nouveau rapport dans lequel il fait état d’une réunion tenue à la chefferie, rassemblant « les indigènes de Vairao qui doivent se rendre aux États-Unis embauchés par Monsieur Tauraa Salmon». Dix-huit se sont présentés. Ils n’ont pas encore signé de contrat. Guillot « a fait remarquer à ces naïfs que M. le Gouverneur, ne connaissant les termes de leur contrat, s’opposerait de tout son pouvoir à leur départ. Il les a engagés ensuite à ne pas aller dans l’inconnu, et leur a fait entrevoir toutes les misères qu’ils pourraient endurer dans un pays froid si celui qui les engage n’est pas tenu de les vêtir chaudement, leurs propres moyens étant insuffisants. Il s’est efforcé enfin de leur démontrer tous les aléas qui peuvent surgir dès leur embarquement. Plusieurs paraissent hésitants, d’autres paraissent décidés à partir» .
Le 16 août, le Commissaire de police écrit au Gouverneur que dix-huit habitants de Vairao (douze hommes et six femmes) sont arrivés à Papeete par la Tahiti. « Ils doivent partir par le prochain Mariposa. »Le dossier s’arrête à cette date, ce qui est frustrant.
Dans le JO des ÉFO des 16-17 août 1906, on apprend qu’un départ de passagers à Papeete est prévu le 22 août, avec arrivée à San Francisco le 3 septembre.
C’est en cherchant dans les journaux de San Francisco qu’on apprend la suite.
Dans son édition du 4 septembre 1906, page 16, le San Francisco Call titre :
TWENTY PRETTY DANCING MAIDS ARRIVE FROM TAHITI ON TOUR OF PICTURESQUE ENTERTAINMENT
L’article est accompagné d’une photo à propos de laquelle il est précisé : « La photographie de la troupe a été prise à Papeete par L. Gausliner» (en l’occurrence Lucien Gauthier) dans les jardins du Prince Hinoi. La troupe est dirigée par Sauraatua Salmon (Taarua, mentionné plus haut). »
Il est curieux de voir que sur cette photo, les hommes sont nombreux, alors que les commentaires du journal ne s’intéressent qu’aux femmes, allant jusqu’à écrire que le groupe est composé de « vingt demoiselles venant de Tahiti» . Elles ont été choisies pour leur élégance et leur beauté, et elles chantent aussi bien qu’elles dansent. On apprend que la troupe s’est produite tous les soirs à bord du Mariposa, pour la plus grande joie des voyageurs, et que plusieurs professeurs d’anthropologie ont manifesté leur intention d’assister au spectacle « d’un point de vue purement scientifique» .
Après San Francisco, leur première étape sera Los Angeles…
Dans son livre Histoire de la Polynésie orientale, paru en 1910, Eugène Caillot écrit qu’en 1846, le Gouvernement français manifestait « de plus en plus son mécontentement de la façon dont les affaires de Tahiti étaient conduites. Au début du Protectorat, il avait cru à une occupation facile, puis à une guerre d’une courte durée ; maintenant que celle-ci se prolongeait, il s’en prenait à ses officiers, les accusant de l’avoir mal renseigné et jetant un doute sur leurs capacités. Les hostilités continuant, après tant de combats, la mauvaise humeur du roi Louis-Philippe et de ses ministres avait fini par éclater : le rappel du gouverneur Bruat avait été décidé. Néanmoins, comme il était impossible de nier le dévouement de l’illustre officier de marine, on l’avait nommé contre-amiral, tout en lui donnant un successeur dans le Gouvernement des Établissements français de l’Océanie et dans le Commissariat du Roi près la Reine des Îles de la Société. Par une ordonnance royale en date du 6 septembre 1846, le capitaine de vaisseau Lavaud avait été nommé à ces fonctions, et celui-ci était parti de Brest sur la frégate La Sirène, le 14 novembre ».
Ces lignes laissent à penser qu’à Paris, sans mettre en doute le “dévouement” de Bruat, on mettait en doute ses compétences, et l’on décida de le remplacer tout en le récompensant.
Les lettres du Ministre (le baron de Mackau) des 26 mai 1846 (adressée au Capitaine de Vaisseau Bruat, reçue le 6 novembre) et 18 octobre 1846 (adressée au Contre-amiral Bruat, reçue le 25 mars 1847) donnent une autre vision de l’affaire.
« Paris le 26 mai 1846. – Monsieur le Gouverneur, j’ai appris avec beaucoup de regret, par votre lettre du 16 décembre [1845], votre désir de rentrer en France.»
Ainsi dès la fin de 1845, Bruat a fait une demande de rapatriement. Le Ministre semble sincèrement désolé, d’une part, et d’autre part lui demande du temps pour « vous chercher un successeur capable de continuer l’œuvre à laquelle vous vous êtes dévoué depuis trois ans» . Bruat a également demandé d’être accompgné des officiers qui constituaient son état-major. « e statuerai alors, écrit le Ministre, aussi favorablement que je croirai pouvoir le faire» sur cette requête. Enfin il lui redit sa confiance pour qu’il continue, en attendant, de s’acquitter de ses importantes fonctions « avec la plénitude de dévouement que vous y avez jusqu’à présent déployée» .
La lettre du 18 octobre informait Bruat que son successeur serait Lavaud[1], accompagné « d’un lieutenant de vaisseau chef d’état-major, d’un capitaine au corps royal d’état-major, d’un secrétaire ; en sorte que les officiers qui ont occupé auprès de vous ces mêmes fonctions pourront, ainsi que vous l’avez demandé, effectuer leur retour en France en même temps que vous». Le Ministre exprimait à nouveau son « entière satisfaction pour le dévouement et la capacité avec lesquels vous avez rempli les importantes fonctions que le gouvernement du Roi vous avait confiées</».
Bruat se montra digne des éloges reçus. En décembre 1846, les derniers “insurgés” se rendirent, et les hostilités prirent fin officiellement le 1er janvier 1847. En février, il accueillait la Reine à Tahiti et lui rendait les honneurs. À son arrivée le 21 mai, Lavaud trouva un pays apaisé.
Bruat, sa famille et son état-major quittèrent Tahiti le 31 mai 1847 à bord de L’Uranie.
De retour en France, il fut préfet maritime de Toulon, puis gouverneur des Antilles. Amiral, Sénateur, il fut nommé commandant en chef de la flotte de la Mer Noire pendant la guerre de Crimée. Il y contracta le choléra et mourut le 19 décembre 1855.
Sa veuve, qui reçut plusieurs lettres de la Reine Pomare, fut nommée gouvernante de la maison des enfants de France.
[1] En 1833, Lavaud commandait un navire à la station des Antilles sous les ordres de l’amiral de Mackau. De 1840 à 1843, il a commandé la station de Nouvelle-Zélande (à Akaroa).
À partir des premières années du XXème siècle, on trouve dans les archives des courriers venant de l’étranger proposant des marchandises susceptibles d’intéresser les É.F.O.
Les deux documents proposés sont deux lettres en provenance des États-Unis.
La première émane des Établissements A. Schrader’s Son, Inc. L’en-tête précise que cette société est le meilleur fabricant de scaphandres, d’équipements de plongée, d’articles en laiton pour matériels en caoutchouc de toutes sortes. Sur un des sites consacrés à cette entreprise, on lit qu’Auguste Schrader, immigré allemand aux États-Unis, a ouvert un atelier de mécanique en 1844 à Manhattan, dans lequel il a développé des raccords et des valves pour les produits de caoutchouc tels que les coussins d’air et les gilets de sauvetage. Son grand intérêt pour la plongée sous-marine l’a amené à concevoir et fabriquer des casques de plongée et des pompes à air. Dans les années 1890, son intérêt se tourne vers les pneus gonflables : il invente la valve de roue, qu’on utilise encore aujourd’hui !
Dans les É.F.O., la pêche de l’huître nacrière et perlière est très active aux Tuamotus et aux Gambier. Entre 1902 et 1905, le professeur Seurat est venu l’étudier. Il écrit : « L’armement d’une équipe de scaphandriers pour la pêche est coûteux, chaque cotre de pêche étant monté par au moins dix hommes : deux ou trois sont des plongeurs, qui descendent dans l’appareil à tour de rôle ; un tient la ligne de vie, c’est-à-dire une corde grâce à laquelle le scaphandrier communique avec l’extérieur ; quatre tournent la manivelle, à tour de rôle ; enfin deux autres sont occupés à remonter le filet rempli d’huîtres perlières et à ouvrir celles-ci. […] Les scaphandres utilisés sont des engins américains» [1]. À New-York, sur son trajet de retour en France, il est interviewé par des journalistes, ce qui peut expliquer l’envoi de cette lettre adressée le 7 décembre 1906 à “Etablissment Francaise de L’Oceanic, Gentlemen”, lettre qui fait suite à une précédente envoyée le 26 mars et restée sans réponse. L’auteur rappelle qu’il informait son lecteur que son entreprise fabriquait une pompe pour les profondeurs marines plus performante que les précédentes, et qu’il serait heureux d’en donner une à l’essai. « Nos produits sont de qualité supérieure, donnent entière satisfaction, et nous sommes sûrs que nous pourrons vous proposer des prix intéressants si vous nous dites que vous avez la possibilité de nous assurer d’une commande ferme de votre part.»
Cette lettre, comme la précédente, est transmise au Président de la Chambre de Commerce le 16 janvier 1907.
La seconde lettre est datée du 22 novembre 1932. Elle fait suite à un premier courrier auquel il n’a pas été répondu, comme la précédente, mais, contrairement à celle-ci, elle est adressée à une personne précise : Mr. Herve [2], Administrator of the Tuamotus, Tuamotus, French Oceania.
L’expéditeur est une “Compagnie de services privés” s’appelant KEWANEE, du nom de la ville où elle est implantée dans l’Illinois, aux États-Unis. L’en-tête précise qu’elle fabrique des fournitures pour la distribution de l’eau, pour l’éclairage électrique et l’évacuation des eaux usées. C’est son siège de New-York qui contacte l’administrateur, lui rappelant le premier courrier du 7 juillet dans lequel étaient présentés, dans des brochures, de petits équipements d’éclairage, avec des estimations de prix. On ne sait pas si ce courrier répond à une demande de François Hervé. C’est fort possible, puisqu’il est écrit : « Si vous avez reçu cette lettre avec sa documentation, nous nous demandons si cela vous donnait l’information souhaitée. Nous sommes très intéressés par votre problème et nous serions heureux de vous aider de quelque manière que ce soit.» Le Directeur du bureau de New-York, qui signe la lettre, espère que la documentation envoyée a été lue attentivement. « Il n’y a vraiment rien aujourd’hui sur le marché qui puisse être comparé, en qualité, à ce que nous proposons, et nos prix sont très bas».
Les deux lettres se terminent par le souhait d’avoir une réponse rapide.
Les dossiers conservés aux archives ne comportent pas d’autres documents qui auraient pu nous renseigner sur les suites éventuelles…
[1] Voir
[2] François HERVÉ, 1875-1939, administrateur par intérim des Tuamotu de 1925 à 1937.
Cette lettre manuscrite de quatre pages est conservée dans un des recueils de la Correspondance du Ministre Secrétaire d’État de la Marine et des Colonies au Gouverneur des Établissements français de l’Océanie. Le Ministre est le baron de Mackau, Vice-Amiral, Pair de France ; le Gouverneur est Armand Bruat, installé dans ses fonctions depuis le 9 novembre 1843.
Cette lettre est datée du 11 février 1845. Elle est arrivée à Tahiti le 12 septembre 1845 par le navire Fortune. Le Ministre y répond aux derniers rapports qu’il a reçus de Bruat, datées des 14 juin, 8 et 16 juillet 1844. Pour cet échange de courrier, il s’est passé presque sept mois entre Papeete et Paris, puis encore sept mois entre Paris et Papeete.
En février 1845, le Ministre apprend d’une part que des combats ont eu lieu à Haapape et Faaa à la fin de juin 1844, et que d’autre part, la Reine s’est enfuie à Raiatea le 12 juillet à bord du navire anglais Carysforth.
La lettre commence par un témoignage de satisfaction sur la manière dont Bruat se comporte vis à vis des commandants des navires anglais qui font relâche à Tahiti : “Dans les lettres que vous leur avez écrites pour leur signaler la responsabilité qui s’attachait à toutes leurs manifestations et à leurs démarches comme dans les réponses que vous avez faites aux réclamations qu’ils élevaient contre diverses dispositions prises par vos ordres, vous avez montré la fermeté nécessaire, en même temps que la circonspection convenable, que je n’ai qu’à renouveler, à cette occasion, l’expression de la satisfaction que je vous ai déjà témoignée pour le caractère de vos correspondances avec les officiers de la Marine britannique“.
Viennent ensuite des remarques sur le journal L’Océanie Française. Le capitaine du navire anglais Basilisk (sur lequel la Reine s’était réfugiée en janvier 1844 avant de s’exiler à Raiatea) s’est plaint des articles publiés contre lui. Ce journal, écrit et réalisé par M. de Ginoux, avait commencé à paraître le 5 mai 1844, avec l’aval de Bruat. Mais ce dernier avait répondu aux protestations anglaises en renvoyant la responsabilité des propos sur le signataire de l’article. Le Ministre est mécontent : “Vous n’avez pas, il faut bien le reconnaître, mis entièrement le bon droit de votre côté. Il était trop évident que cette feuille, sortie d’une presse lithographique dont vous disposez absolument, ne pouvait rien avoir admis que de votre consentement. Je crois superflu d’insister, à cette occasion, sur les observations que vous a transmises ma dépêche du 25 octobre dernier“. De fait, Bruat avait envoyé au Ministre le premier exemplaire du journal, et à sa réception, celui-ci lui avait demandé expressément de mettre fin à sa publication pour la raison qu’avec cette feuille, trop de monde était informé des événements qui se déroulaient à Tahiti avant le Gouvernement français à Paris. Conformément à cette directive, L’Océanie française ne paraissait plus depuis le 28 juin 1845.
Le troisième sujet abordé se rapporte aux “deux nouveaux combats que l’état de l’insurrection a rendus malheureusement nécessaires“. “Je vous ferai connaître, par une dépêche particulière, les noms des officiers qui se sont le plus distingués à Hapape et Faa, et auxquels Sa Majesté a bien voulu, sur mon rapport, accorder des récompenses.”[1]
Le baron de Mackau félicite ensuite Bruat d’avoir proposé à la Reine de revenir aux termes du Protectorat, l’annexion prononcée par Du Petit-Thouars ayant été désavouée à Paris. “L’essentiel était de ne rien faire qui compromît l’avenir, quant au maintien de notre pavillon et de nos forces militaires à Papéïti.” Bruat a devancé, “avec la plus heureuse inspiration, les ordres que l’on vous portait“. Mais le Ministre est prudent, car il sait que, en sept mois, quand le Gouverneur recevra sa lettre, la situation aura évolué.
Pour terminer, Bruat est invité à lire les comptes rendus des débats des deux chambres, au mois de janvier, à propos de l’Océanie : “Le gouvernement y a exposé sa politique dans des termes que je n’ai pas besoin de recommander à vos méditations, afin que vous vous unissiez plus étroitement encore à sa pensée et à ses vues pour le présent et pour l’avenir“.
On peut avoir une idée des critiques portées contre le Gouvernement à Paris en lisant, dans les Chroniques de la Quinzaine, les commentaires sur les débats à la Chambre des Pairs. C’est Guizot, le Ministre des Affaires étrangères, qui est interpellé : “Et Taïti, croyez-vous que ce soit là une affaire terminée ? Ne craignez-vous pas toujours d’apprendre des complications imprévues ? Quand pourrez-vous nous dire que le sang de nos soldats a cessé de couler ? Quand cesserez-vous de craindre un nouveau conflit qui pourrait remettre en question la dignité de la France ? […] La sécurité n’est pas à Taïti.“[2] La politique de Guizot mécontente une partie de la classe politique : “M. Pritchard a fait massacrer nos soldats ; nous ne lui demandons rien, et nous lui payons une indemnité. Voilà ce que M. Guizot a eu le triste courage d’appeler un échange de ménagements et de concessions réciproques. Ajoutez que M. Pritchard, indemnisé et triomphant, est envoyé près de Taïti, aux îles des Navigateurs[3], où il predra un poste supérieur à celui qu’il occupait : voilà comment l’Angleterre le punit de ses violences. M. d’Aubigny[4] est blâmé ; M. Pritchard reçoit de l’avancement, et de plus une indemnité. Voilà ce qu’on appelle de la réciprocité et de la justice !“
Depuis juillet 1844, Bruat s’est efforcé de faire fonctionner les institutions du Protectorat, officiellement rétabli par le contre-amiral Hamelin le 7 janvier 1845. En l’absence de la Reine, c’est Paraita qui a été nommé Régent. Mais les déclarations de l’Amiral anglais Seymour sur le statut des Îles Sous-le-Vent, le 12 août 1845, va remettre de l’huile sur le feu et relancer les hostilités
[1] Ces combats ont été relatés par Bruat dans sa lettre du 8 juillet 1844. Ainsi Hitoti sera décoré de la Légion d’Honneur.
[2] Chronique de la quinzaine, 14 janvier 1845.
[3] Les îles Samoa.
[4] C’est d’Aubigny qui a fait arrêter Pritchard à Papeete, en l’absence de Bruat qui se trouvait à Taravao.
Dans la bibliothèque des archives de la Polynésie se trouvent quelques dossiers constitués par Bengt Danielsson, comportant des photocopies de documents conservés autrefois aux archives d’outre-mer rue Oudinot à Paris. Les documents présentés ici sont cotés Océanie A106 C20.
Il s’agit de deux copies conformes de deux lettres manuscrites. La première, datée du 15 novembre 1875, est écrite par le Chef inspecteur de police A. Villard, et s’adresse au Commandant Commissaire de la République[1]. Il lui annonce que le Sieur Marmouyet lui a déclaré qu’il allait porter plainte auprès du Procureur de la République contre le prince Tamatoa.
La seconde, datée du lendemain, le 16 novembre 1875, est écrite par Jean Marmouyet et s’adresse au “Procureur de la République près les Tribunaux du Protectorat de Papeete“, auprès duquel il dépose une plainte contre le prince.
Le prince Tamatoa est le quatrième fils de la reine Pomare. Il est né en septembre 1842 à Moorea. Il a été adopté par le roi de Raiatea, son grand-oncle Tamatoa IV[2]. À la mort de ce dernier, en 1857, Tamatoa lui a succédé et a été couronné roi de Raiatea-Tahaa sous le nom de Tamatoa V. Il a alors quinze ans. L’année suivante, il est déchu de son titre et quitte Raiatea pour Tahiti. Il reprend sa place en 1860. Il se marie en 1863 avec Moe Maheanuu a Mai. Mais son inconduite entraîne en 1865 la révolte des habitants (Il a dû prendre la fuite et se réfugier à bord d’une goélette appartenant au Consul des États-Unis[3]). Cette année-là, le commissaire impérial La Roncière écrit de lui : “Véritable sacripant doué de tous les vices qui mènent au bagne“[4]. Nouveau conflit contre lui en 1867. En 1868, il mène une vie déréglée à Tahiti. Banni de cette île en 1870, il revient à Raiatea. En 1871, il commet un meurtre ; il est alors déchu définitivement par ses sujets, et on le retrouve à Tahiti.
Le contentieux avec Marmouyet commence en 1873. Jean Marmouyet (1833-1906) était arrivé à Tahiti en 1866. Mécanicien dans l’artillerie de marine, il s’est fixé à Papeete où il exploite un atelier de mécanique et une forge[5]. En cette année, le prince a mis le feu chez S. M. la Reine. Marmouyet, “en [sa] qualité de serrurier“, a dû “procéder à des ouvertures chez lui, se tenant sous le coup de la loi comme incendiaire et s’étant évadé de prison“. “Depuis cette époque, il ne se passe pas de jour où des menaces de tous genres sont faites contre nous (ceux qui ont été témoins de la scène) et principalement contre moi.” Le 7 septembre 1873, il avait porté plainte “au sujet d’injures, menaces et même voies de fait par lui contre moi”. Mais il rappelle que cette plainte n’avait pas été suivie d’effet “voulant me conformer aux sages conseils que vous m’avez donnés avec l’assurance que semblable fait ne se renouvellerait plus“.
Le Procureur avait donc voulu étouffer l’affaire.
Mais Tamatoa est un personnage impossible à calmer. C’est un malade comptant sur son ascendance royale pour laisser libre cours à ses instincts. À la fin de l’année 1875, dans une note sur “la santé des princes, fils de S. M. la reine Pomare“, le chef du service de santé écrit : “Tamatoa est atteint de diathèse strumeuse ; il a les membres inférieurs couverts le plus habituellement d’ulcères sordides ; je l’ai traité longtemps pour une carie des os du pied. Il est en proie à une syphilis constitutionnelle ; ses excès habituels, son ivrognerie, contrebalancent les effets des médications qu’il n’accepte que temporairement d’ailleurs, au moment des recrudescences de la maladie“. Il ajoute que, selon lui, les enfants de la reine sont atteints d’une tuberculose pulmonaire (cachexie) héréditaire.
Marmouyet expose ce qui va motiver sa plainte : “ Il m’est impossible, Monsieur le Procureur, de ne pas vous exposer de nouveaux faits à mon égard, lesquels se sont passés de la part de Tamatoa dans la matinée du dimanche 14 novembre ; ce jour vers les 5 heures du matin, je me suis trouvé au marché, le sieur Tamatoa y était également, et comme d’ordinaire en état d’ivresse, son paletot était à terre, me voyant et s’adressant à moi d’une manière arrogante, il me dit de le lui ramasser, sur mon refus bien naturel, il se répandit en injures contre moi, employant dans les langues Tahitien, Français et Anglais les termes grossiers de “canaille, cochon, Poua Farani et autres, que la décence ne permet pas de reproduire, puis me montrant plusieurs bijoux et entr’autres une grosse bague “Tu vois me dit-il, c’est l’Angleterre qui me l’a envoyée, je suis Roi avant tout, vous êtes tous mes sujets, et vous devez m’obéir ; haussant mes épaules à des propos semblables et m’ayant suivi par derrière, il me donna une poussée avec le poing fermé“.
Le chef inspecteur de police rapporte d’autres méfaits du prince : il vole un paquet de poissons et le revend pour aller boire ; il boit un café chez un Chinois et casse la tasse pour tout paiement ; il force un Chinois à ouvrir la bouche et crache dedans ; il insulte en canaque le commissaire de police, lequel ne comprend pas les phrases prononcées, mais que l’inspecteur traduit : “je me fo… de la police, ce n’est pas toi qui me feras peur, je t’emm…“. Et ce fonctionnaire ajoute : “J’ai l’honneur de vous prier, Commandant, de vouloir bien ordonner dès à présent que Tamatoa ne puisse plus mettre les pieds au marché, lieu ordinaire de ses exploits”.
Les autorités sont très embarrassées par ce personnage que sa mère, la Reine, protège – bon gré mal gré. À la fin des années 70, et jusqu’à son décès, il est domicilié à Papeete, quai de l’Uranie.
Dans le supplément au n° 40 du Messager de Tahiti, du 6 octobre 1881, un éloge funèbre lui est rendu, monument d’hypocrisie diplomatique : “La Famille royale vient encore d’être éprouvée par une perte douloureuse. Le prince Tamatoa V est mort le vendredi 30 septembre, à 8h1/2 du matin, après une courte et douloureuse maladie. Ancien roi de l’île de Raiatea, il était né à Moorea le 23 septembre 1842 et s’était marié le 12 juillet 1863 à Moe, fille de Maheanuu. Il laisse quatre enfants, quatre jeunes filles, dont l’aînée est à peine âgée de 12 ans. L’une d’elles est reine de Borabora. Tamatoa V a fait sous les ordres de l’amiral Du Petit-Thouars, et comme commandant des volontaires tahitiens, l’expédition des Marquises[6] : il y a fait preuve de qualités sérieuses. Très-aimé de tous, il laisse partout de nombreux regrets“.
[1] Il s’agit alors d’Octave Gilbert-Pierre.
[2] Tamatoa IV est le frère de Teremoemoe, épouse de Pomare II et mère de Pomare IV.
[3] Lettre du Ministre au Commandant des É.F.O. du 9 avril 1866.
[4] Cité par Anne-Lise Pasturel dans Raiatea, 1818-1945, thèse de doctorat, 2000.
[5] D’après O’Reilly, Tahitiens, 1975.
[6] Il s’agit de l’opération de pacification des Îles Marquises, en 1880, commandée par l’amiral Bergasse du Petit-Thouars.
Ce dossier comprend trois documents manuscrits : une lettre adressée au Gouverneur (Joseph François), une lettre de Victor Raoulx et un brouillon de réponse du Gouverneur.
La demande de renseignements est écrite recto/verso sur une feuille à en-tête de format 21,2×27,4. Elle est écrite par A. Mazeline qui « occupe un poste » dans cette maison dont le directeur est son « parent ». Elle est datée du 18 décembre 1908 et arrive le 14 février 1909 par le navire Mariposa.
Les Nouvelles Galeries est le nom d’une chaîne de grands magasins créée en 1897 sous l’appellation “Société Française des Grands Bazars et Nouvelles Galeries Réunis”, présente dans les plus grandes villes de France. Le 20 avril 1899, l’enseigne est simplifiée en “Société Française des Nouvelles Galeries Réunies ».[1]
L’auteur de cette lettre effectue une démarche personnelle. Il a « déjà séjourné aux Colonies et serait très désireux d’y retourner pour [s’] y établir ». Il a en projet de fonder à Tahiti « un petit comptoir, où l’on pourrait vendre dans de bonnes conditions, certains articles d’une vente assez courante» .
Il est conscient des difficultés (il a lu une brochure de l’Office Colonial de Paris), en particulier le coût du fret qui l’incite à choisir la vente d’articles « de luxe ou d’un certain luxe ». Il estime que le caractère bon marché des produits importés de pays proches comme la Nouvelle-Zélande ou l’Australie, vendus par des « maisons étrangères installées à Papeete », pourrait être concurrencé par des droits d’entrée réduits sur les produits français.
Il éprouve un « serrement de cœur» en voyant « le peu de parti que nous tirons de nos possessions». « Pensez-vous, demande-t-il au Gouverneur, qu’une maison vendant nos articles, ait chances de réussite, ou tout au moins de faire quelques affaires ?»
Il a deux autres demandes de renseignements. La première porte sur la possibilité de s’installer pour « des parents à la campagne qui viendraient peut-être avec moi et pourraient s’occuper d’élevage ou de cultures coloniales ». La deuxième concerne un produit spécifique : les phonographes, qu’il connaît bien, ayant fait « un stage d’un an dans la maison Pathé ».
« Je ne me fais pas d’illusions sur la vie coloniale », écrit-il. Heureusement pour lui ! Car la réponse va sans doute mettre un terme à son enthousiasme.
Le Gouverneur transmet cette lettre au Président de la Chambre de Commerce Victor Raoulx.
Celui-ci répond le 23 février 1909 sur un papier à en-tête de sa propre société. C’est sans doute l’homme tout indiqué pour répondre à la demande de renseignements. Il est propriétaire, à Atimaono (Papara) de plantations de canne. Une usine y produit du sucre et du rhum. Il est aussi importateur, représentant de la société bordelaise Tandonnet Frères (qui fusionnera en 1911 avec la société Ballande de Nouméa). Il s’attache à ne vendre « presque exclusivement que des produits métropolitains », écrit O’Reilly[2]. Mais son cheval de bataille, c’est la dénonciation de l’envahissement du commerce local par les ChinoisIl n’est donc pas étonnant que l’essentiel de son argumentation pour décourager les velléités de M. Mazeline concerne l’omniprésence des Chinois dans le commerce des É.F.O. Mais on comprend vite qu’en fait, c’est avant tout au Gouverneur nouvellement arrivé dans le territoire qu’il s’adresse : « Les Chinois ont complètement accaparé le commerce de détail et une grande partie du commerce de gros et avant longtemps, si des mesures urgentes et énergiques ne sont prises à leur égard, les autres maisons de commerce auront à leur céder la place ». Il regrette que les patentes délivrées aux Chinois n’aient pas été sévèrement limitées. Les « Asiatiques » auraient été mieux employés dans l’agriculture « dans laquelle ils excellent ». Conclusion : « l’entreprise projetée par M. Mazeline [a peu de] chances de succès ». Quant aux phonographes, ils « se sont bien vendus dans la Colonie » et le marché est saturé.
On peut penser que Victor Raoulx ne souhaite nullement voir un éventuel concurrent s’installer à Tahiti.
Le Gouverneur répond le 26 mars 1909. Il se contente de reprendre l’argumentation du Président de la Chambre de Commerce : « un petit comptoir pour le placement d’articles français ne me semble pas avoir aucune chance de succès », et cela à cause « de l’accaparement, par les commerçants asiatiques, de la majeure partie du commerce de détail et d’une grande partie de celui du gros dans les Possessions françaises de l’Océanie ».
[1] Source : Wikipédia.
[2] O’Reilly, <iTahitiens, Paris, 1975.
LE MESSAGER DE TAHITI (parfois sans LE), sous-titré en tahitien : TE VEA NO TAHITI, est un journal dont la parution alla de 1884 à 1899. (Ce journal n’a rien à voir avec le Messager de Tahiti, qui parut de 1852 à 1883, et ne garda ensuite que son sous-titre : Journal Officiel des É.F.O.)
Sa durée d’existence a comporté deux périodes.
1) Du 5 mai 1884 au 27 décembre 1888, c’était un hebdomadaire paraissant le mercredi. Conservant le sous-titre tahitien Te Vea No Tahiti, il se présentait comme l’Organe des Intérêts Français dans l’Océanie, avec la précision : Journal politique, commercial, industriel et d’annonces légales.
Sa devise latine Ubi Jus, Ibi Vis peut se traduire par Là où est le Droit, est la Force !Il avait trois membres fondateurs.
Victor Raoulx (1842-1914) était arrivé à Tahiti en 1863. C’était un marin, capitaine de goélette, qui déploya peu à peu une intense activité commerciale. Copropriétaire de la Terre Eugénie à Atimaono, il développa une importante production de sucre et de rhum. Actif également politiquement, il fut cofondateur du Messager de Tahiti.
François Cardella (1838-1917) était arrivé à Tahiti en 1866. Médecin de la marine, il s’installa comme pharmacien civil. Il devint un homme politique influent. Il fut le premier maire de Papeete, cofondateur du Messager de Tahiti.
Paul-Georges Martiny (1843-1887) était arrivé à Tahiti en 1864. C’était un officier de la Marine. Jusqu’en 1869, il remplit de hautes fonctions administratives. Puis, après un séjour en France, il revint en 1871 comme négociant, ne s’occupant que d’industrie et de commerce. Il se lança également en politique et il fut cofondateur du Messager de Tahiti. Il en était le rédacteur en chef. Malade, il quitta Tahiti en mars 1887 pour aller se soigner en France, mais il mourut à Sydney en juin. Le journal n’allait guère survivre, écrit O’Reilly, au départ de son animateur .
2) En janvier 1889, les administrateurs du Messager de Tahiti permirent la reprise du titre par Léonce Brault. Arrivé à Tahiti en 1881, Léonce Brault (1858-1933) était imprimeur. Il se lança en politique, son journal lui servant de tribune. Après 1899, il mena une carrière d’avocat (on disait alors défenseur).
Le sous-titre en tahitien fut conservé. La devise latine changea : Fluctuat Pro Tahiti Semper !, ce qui peut vouloir dire : Agissons toujours pour Tahiti ! La première devise réapparut en 1897. C’était devenu le Moniteur Hebdomadaire des Intérêts Coloniaux, et il paraissait le samedi. La formule devint ensuite Moniteur Indépendant des Intérêts Coloniaux Français, et Paraissant ordinairement 4 fois par mois. Le siège du journal était Rue du Marché puis, à la fin des années 90, Rue de Rivoli. Avec ce changement d’adresse, le nom du directeur – Léonce Brault – fut remplacé par un pseudonyme : “Jean de Pare”. Précisons qu’en février 1888, Léonce Brault avait lancé un journal mensuel et gratuit : Les Petites Affiches de Tahiti. À la fin de cette année-là, il annonçait que, suite à la disparition programmée du Messager de Tahiti, son journal deviendrait hebdomadaire en janvier 1889. Ce projet fut remplacé par la reprise de ce dernier titre.
Les collections du S.P.A.A. et de la S.E.O. sont très incomplètes et en mauvais état.
– du n° 1 (lundi 5 mai 1884) au n° 5
– du n° 7 au n° 10
– du n°12 au n° 73
– du n° 75 au n° 104
– n° 106 et n° 107
– deux numéros 109 des 18 et 25 mai 1886
– du n° 110 (numéroté 100) au n°119
– du n° 121 (incomplet) au n° 157
– du n° 159 au n° 161
– deux numéros 163 des 22 et 29 juin 1887
– du n°164 au n° 182
– du n° 184 au n° 191
– n° 190 (incomplet) et n° 191
– du n° 193 au n° 208 (10 mai 1888)
– n° 278 (5 octobre 1889), 280, 281, 292, 296, 298
– du n° 302 au n° 306
– n° 308, 313, 316, 317
– du n° 323 au n° 325
– n° 343, 344, 346, 347, 349, 350, 353, 354, 359, 378, 380, 383, 384, 388, 390, 391, 393, 396
– du n° 398 au n° 417
– du n° 419 au n° 474 (21 décembre 1893)
– n° 477, 481, 482, 483, 487, 489, 490, 492, 493, 495, 496, 499, 500 (17 novembre 1894), 501, 506, 508, 509
– n° 523, 544, 546, 547
– du n° 570 (31 mars 1898) au n° 572
– n° 574, 575, 584, 587, 591 (5 juin 1899, avec la mention : 16è année)
Curieusement, on trouve un n° 604 daté 10-25 août 1895, n° 605 du 4 septembre 1895, n° 607 du 10 octobre 1895, n° 608 du 19 octobre 1895 et n° 700 du 23 novembre 1895.
Si l’on se base sur 52 numéros par an, le n° 608 (à quelques numéros près) se trouverait bien à la fin de l’année 1895. C’est un point qui reste à éclaircir…
Les jours de parution furent le lundi, puis le mardi à partir de janvier 1886, enfin le mercredi à partir d’avril 1887.
Le format des pages a varié au fil du temps. Dans le n° 36 du 5 janvier 1885, il est précisé : “Le format du Messager de Tahiti sera considérablement agrandi dans le cours de l’année 1885”.)
– 24 x 31 pour les premiers numéros
– 25,5 x 42
– 32 x 51,8 les dernières années.
Dans le journal L’Océanie française, n° 71 du 6 mai 1884 (lendemain de la parution du 1er numéro du Messager), animé par Auguste Goupil, on peut lire : “Le Messager de Tahiti – Sous ce titre, MM. Raoulx, Martiny et Cardella viennent de fonder une feuille hebdomadaire dont le but est identique à celui que nous poursuivons. C’est donc avec le plus grand plaisir que nous constatons la naissance de ce nouveau défenseur des intérêts de notre belle, mais malheureuse colonie. Nous avons la conviction que, si nous venons à différer quelquefois d’opinion sur les moyens à préconiser pour favoriser l’éclosion de la prospérité générale, cette divergence d’opinions elle-même aura son utilité, puisqu’elle permettra au Gouvernement de se rendre un compte à peu près exact des aspirations de tous et de faire un choix dans les arguments avancés par les organes de l’opinion à Tahiti. Le public, de son côté, ne peut qu’être reconnaissant envers les hommes qui ne craignent pas de sacrifier leur temps et leur argent pour le bien général.”
Ce rapport manuscrit comporte cinq pages écrites recto/verso, de format 00×00. L’en-tête de la première page est personnalisé au nom du Chef du service judiciaire Lucien Bommier. Il s’adresse au Gouverneur Papinaud pour lui faire part « des faits saillants qui se sont produits dans mon administration pendant le mois de septembre écoulé ». Son rapport comprend trois volets : une affaire jugée au Tribunal de simple police, un rapport sur la prison de Papeete, et quelques lignes sur son mauvais état de santé. C’est le premier point que cette notice étudie.
L’affaire est révélatrice d’une certaine ambiance qui régne alors dans Papeete, cette petite commune d’environ 4 000 habitants, dans laquelle résident en permanence environ 300 colons français non-polynésiens[1] (et autant de colons “occidentaux“ autres que français). Elle a lieu le lundi 2 septembre 1895, vers midi. Monsieur Riffaud, pharmacien de 2ème classe de la Marine, sort du restaurant Renvoyé, rue de la Petite Pologne (aujourd’hui rue Gauguin) en compagnie de Messieurs Mleneck, lieutenant d’artillerie, et Agostini, Chef du service des Travaux publics. À côté du restaurant se trouve la pharmacie de Monsieur Claret. Celui-ci est « sur le seuil de sa porte, à califourchon sur une chaise ». Sur sa vitrine, il a placardé deux affiches. « Une affiche porte ces mots : “Sirop haamaitai toto“ et au dessous « Avis aux fumistes“. L’autre, le mot “Antiseptique“ et plus bas “Avis aux imbéciles“.» Riffaud s’arrête et fait « à haute voix des réflexions » qui « sans être blessantes pour Monsieur Claret, n’étaient pas de nature à le laisser indifférent ».
Ils en viennent aux mains, « roulèrent plusieurs fois sur le sol » et sont séparés par l’un des témoins de la scène.
Cette bagarre est « le résultat d’une animosité assez vive qui existe depuis déjà quelques mois entre Monsieur Claret et le corps de santé de la Colonie ». Pour Riffaud, « les épithètes de fumistes et d’imbéciles étaient à son avis dirigées contre lui et contre son Chef, Monsieur le Docteur Parnet ».
Claret a porté plainte. « À l’audience ces messieurs ont reconnu leurs torts réciproques et se sont vus condamnés chacun à dix francs d’amende par application de la loi du 3 Brumaire an IV»[2]. »Ce lamentable incident fait malgré tout sourire. Deux pharmaciens, que l’on peut ranger dans ce qu’il est convenu d’appeler « la haute société » se battent dans la rue comme des chiffonniers. L’un est fonctionnaire, dans le “public“, l’autre est “libéral“, dans le “privé“. Et l’on retrouve l’animosité des colons installés dans la Colonie qui se plaignent à longueur de temps de la charge financière démesurée que représentent les salaires et les voyages de ces nantis de passage dans les É.F.O. Il y a sans doute aussi une insinuation d’incompétence envers le service de santé (ce qui serait injuste, ce service étant de ceux dont l’action positive a souvent été mise en évidence).
Dans un si petit espace, les jalousies, les rivalités s’exacerbent. Il y a là un peu de Clochemerle…
[1] Toullelan, Tahiti colonial, p. 275. Les chiffres réels sont très difficiles à établir avec certitude.
[2] Articles 605 et 606 : « Sont punis des peines de simple police les auteurs de rixe, de voies de fait et violences légères. […]. Les peines ne peuvent être […] « au-dessous d’une amende de la valeur d’une journée de travail ou d’un jour d’emprisonnement, ni s’élever au-dessus de la valeur de trois journées de travail ou de trois jours d’emprisonnement ».
En route pour rejoindre sa nouvelle affectation, le Gouverneur Joseph François s’arrête quelques jours à San Francisco. Il est interviewé par le journal « San Francisco Call ». L’entretien paraît dans le numéro du 21 novembre 1908. Son portrait, en page 20, précède ce dernier, avec le titre : « Le Gouverneur François, de Tahiti, s’entretient avec des hommes d’affaires locaux sur les possibilités d’échanges commerciaux ».
(Traduction M.B.)« Le Gouverneur Joseph François, diplomate français en route pour prendre ses fonctions à la tête des possessions françaises de Tahiti et dépendances, estime que San Francisco sera le port de départ et d’arrivée pour les îles ensoleillées qu’il va commander, même après la finition du canal de Panama. Ce fonctionnaire, accompagné de sa femme et de sa fille, Melle Renée François, fera voile demain, sur le steamer Alameda, vers sa nouvelle résidence dans les Mers du Sud. Pendant son séjour à San Francisco, le Gouverneur François a bien étudié notre ville et a rencontré beaucoup d’hommes en rapport avec le commerce des îles. Il partira vers son archipel avec la ferme volonté de toujours encourager les investisseurs de San francisco à venir à Tahiti. »
[…] « Je vais travailler à la prospérité de cette île » a déclaré hier le Gouverneur à notre interprète, « et aussi à entretenir des relations cordiales avec San Francisco. Si le peuple américain souhaite faire de Tahiti un agréable lieu de vacances, j’emploierai tous les moyens pour qu’il devienne aussi attirant que bien d’autres endroits dans le Pacifique. La croissance du commerce sera facilitée, et nous accueillerons les constructions d’hôtels et autres lieux de séjour. San Francisco sera toujours le port numéro un pour Tahiti. La construction du canal de Panama n’y changera rien, car géographiquement cette ville est la mieux située pour desservir les îles .»
Peu de temps après son arrivée le nouveau Gouverneur reçoit une lettre d’un producteur d’engrais de San Francisco. C’est une feuille rose à en-tête de format 21×27,4, dactylographiée recto/verso, de « THE HOLMES LIME CO. Inc. » Quelques trous dans ce papier rose, dus à la vermine, n’empêchent pas la compréhension du texte. Le représentant de cette compagnie fait référence à l’article qu’il a lu dans le « San Francisco Call ». (Il n’a pas perdu de temps car sa lettre est datée du jour même de la parution de l’article.) Il propose de la chaux hydratée employée pour la fertilisation des terres sur lesquelles on cultive de la canne à sucre (un échantillon est joint à sa lettre). Il vante la facilité d’utilisation de cette poudre qui peut être répandue à la volée ou avec un tamis. Il énumère les noms de diverses compagnies sucrières qui en font déjà usage (par exemple The Hakalau Plantation Company) et demande au Gouverneur les noms et adresses des différents planteurs de canne à sucre habitant Tahiti.
Joseph François transmet cette lettre le 10 décembre au Président de la Chambre d’Agriculture de Tahiti Albert Chassagniol, en lui demandant son avis. Ce dernier fait une traduction de la lettre et répond le 14 décembre que, d’une part, la terre de Tahiti est très fertile, et que, d’autre part, « nous avons sous la main les phosphates de Makatea » (1908 est l’année de création de la Compagnie Française des Phosphates de l’Océanie).
Dans sa réponse du 13 janvier au Directeur de la Holmes Lime Co, le Gouverneur décline l’offre en reprenant les arguments du Président de la Chambre d’Agriculture.
(Notons qu’Albert Chassagniol avait suggéré de demander leur avis aux deux planteurs de canne à sucre de Tahiti ; je n’ai pas trouvé de traces d’une telle démarche.)
(Carton : 8,7×16)