Les archives de Polynésie ont conservé en partie la correspondance que le Ministre de la Marine et des Colonies adreessait au Gouverneur. Cette correspondance est rassemblée par années dans plusieurs volumes, parfois en très mauvais état. On y trouve aussi des décisions du Gouverneur, comme c’est le cas pour la copie conforme de cette ordonnance datée du 13 février 1847.
La France a établit son protectorat sur le royaume de Pomare IV depuis le 9 septembre 1842, avec la signature de la Reine. Mais celle-ci revient sur ses engagements à partir de février 1843, date du retour à Tahiti du consul anglais Pritchard. Elle choisit de s’exiler à Raiatea, tandis qu’une guerre se déroule entre ses partisans et les partisans du protectorat français. Les combats prennent fin en décembre 1846.[1]
Le Gouverneur Bruat autorise Ariitaimai (sa sœur adoptive, petite-fille de Tati, épouse d’Alexandre Salmon) d’aller à Raiatea pour la convaincre de revenir. Elle arrive à Moorea le 4 février 1847. Bruat va à sa rencontre et fait la déclaration publique suivante : « Vous tous qui êtes ici réunis, je vous annonce avec satisfaction que la paix est désormais rétablie d’une manière solide, et que le pays va de nouveau rentrer dans la prospérité. La reine Pomare est arrivée : elle s’est tout-à-fait soumise au gouvernement du protectorat, tel qu’il est établi aujourd’hui. Je vous fais donc connaître qu’au nom du roi Louis-Philippe, je la rétablis dans ses droits et dans son autorité, qu’elle exercera dorénavant sur toutes les terres de ce royaume comme reine reconnue dans le gouvernement du protectorat » .[2] (Il faudra cependant attendre la Convention du 5 août 1847, conclue entre la France et la Reine des Îles de la Société, pour régler l’exercice du protectorat.) Le 9 février, la Reine et le Gouverneur débarquent à Papeete. Les honneurs sont rendus à la souveraine, et au mât de misaine du Phaéton flotte le drapeau du protectorat.
De février à fin mai 1847, Bruat (et son épouse) vont nouer de solides liens d’estime et d’amitié avec Pomare IV. Le Gouverneur a compris que la Reine, dès son retour, devait concrétement ressentir l’intérêt de sa nouvelle situation politique, et plus particulièrement par le biais de l’attribution d’importantes sommes d’argent lui permettant de mener un train de vie «royal», et, entre autres, de satisfaire aux “besoins“ (qui vont vite se révéler énormes) de sa grande famille et de son entourage.[3]
Les deux sommes allouées s’élèvent à un peu plus de 25 000 francs.
Il est difficile de donner une équivalence avec les francs-pacifiques d’aujourd’hui (2016), les modes de vie ayant beaucoup changé. (Le site De la valeur des choses dans le temps nous apprend qu’un franc de 1850 vaudrait en 2006 2,53 €, soit 302 F CFP. Ainsi 25 000 francs en 1847 seraient l’équivalent de 7 750 000 F CFP.)
La Reine est riche, mais tout au long de son règne, elle se plaindra sans cesse de sa situation financière qui l’obligera à s’endetter.
[1] Voir Archipol n°15, Papeete, 2014.
[2] Lechat, Institutions politiques et administratives, page 105, Papeete, 1990.
[3] Voir O’Reilly, Tahiti au temps de la reine Pomare, Société des Océanistes, Paris, 1975.
Ce document est un feuillet de 4 pages de format 19,5×29,6. La lettre est écrite à l’encre bleue sur les deux premières. On lit sur l’en-tête pré-imprimé « Division navale d’Extrême-Orient / Canonnière Zélée / Le Lieutenant de Vaisseau Destremau / Commandant » – à la suite de ce mot, les deux mots « la Zélée » sont barrés et remplacés par « les Troupes ».
Maxime Destremau est Commandant de la Zélée, navire stationnaire français dans le Pacifique, depuis décembre 1913. William Fawtier est nommé Gouverneur des É.F.O. en mars de la même année.
À Tahiti, on ne dispose pas encore de la radio : une station de téléphonie sans fil – TSF – ne commencera à fonctionner que le 29 décembre 1915. En attendant, en dehors du courrier qui met plusieurs semaines à parvenir d’Europe, on se contente des nouvelles apportées par les radios des navires de passage à Papeete. Dès le 2 août, Destremau apprend par la radion du Montcalm que le processus des déclarations de guerre est engagé ; les ordres laissés par le contre-amiral Huguet sont précis : il faut défendre Tahiti et ne laisser en aucun cas ni la Zélée ni la colonie au pouvoir des Allemands. Le 8 août, Fawtier nomme Destremau commandant des troupes de la colonie. Ce dernier pense que des navires allemands de la marine impériale, évoluant aux Samoa ou plus loin dans d’autres colonies allemandes (Nauru, Carolines…), vont rejoindre l’Atlantique, et le risque est grand de les voir passer à Tahiti. Il entreprend alors de mettre la « capitale » Papeete en état de défense. La Zélée est désarmée, et ses canons sont disposés sur les hauteurs. De nombreuses autres mesures sont prises.
Mais l’ennemi est déjà sur place : les commerçants allemands ont pignon sur rue, et il convient de neutraliser leurs activités. Déjà, avant d’être désarmée, la Zélée a capturé le phosphatier allemand Walküre à Makatea, et l’a escorté jusqu’à Tahiti.
Le Gouverneur a chargé l’administrateur Charles Marcadé de faire une tournée aux Tuamotu et aux Marquises dans le but de faire cesse toute activité commerciale allemande, principalement celles de la S.C.O. (Société Commerciale de l’Océanie). Le commerce sur le trajet aller-retour Tahiti-États-Unis (ces derniers ne s’engageront dans la guerre qu’en 1917) est très surveillé car, comme le rappelle Destremau, « l’ordre du Ministre nous interdit d’envoyer dans un pays neutre des marchandises telles que le coprah ». Trente Allemands résidant dans la colonie, avec l’équipage du Walküre, sont internés au lazaret de Motu Uta. Comme il est question de les envoyer dans un pays neutre, Destremau estime que cela viendrait à l’encontre des directives du Ministre, car, excepté l’un d’eux, ce sont « des hommes susceptibles de nous combattre ». Ayant appris qu’en Allemagne, les Français sont réquisitionnés pour travailler, il propose au Gouverneur d’employer ces Allemands « comme travailleurs de la colonie, par exemple aux Travaux publics ». Fawtier n’est pas aussi sévère envers eux. Il s’en prend plutôt à leurs biens : ceux des plus fortunés (Meuel, Allgoewer, Lamprecht, Koeppen, Von Diesch, Jentsch, …) sont mis sous séquestre. Après le bombardement du 22 septembre, un arrêté stipule qu’une « contribution extraordinaire de un million de francs est imposée aux sujets allemands possédant sur le territoire de la Colonie des biens meubles et immeubles ».
Destremau juge beaucoup trop modérée l’attitude du Gouverneur. Ce dernier prend, le 19 octobre 1914, trois décisions : 1) les internés venus des îles (ÎSLV et Marquises) pourront y retourner ; 2) ceux qui voudront quitter la colonie pourront le faire à leurs frais ; 3) ceux qui résident à Tahiti resteront internés, et leur nourriture sera aux frais de la colonie.
Leur mésentente s’aggravant, Destremau d’abord, Fawtier ensuite, seront renvoyés en France.
Cette lettre manuscrite de deux pages est conservée dans un des recueils de la Correspondance du Ministre Secrétaire d’État de la Marine et des Colonies au Gouverneur des Établissements français de l’Océanie. Le Ministre est le baron de Mackau, Vice-Amiral, Pair de France ; le Gouverneur est Armand Bruat, installé dans ses fonctions depuis le 9 novembre 1843.
Cette lettre est datée du 27 février 1846. Elle est arrivée à Tahiti le 25 octobre 1846 par le navire Hercule. Le Ministre répond à un courrier de Bruat en date du 3 juin 1845.
À cette date, la Reine est “réfugiée” à Raiatea. En son absence, Paraita a été nommé Régent le 7 janvier. Le calme est revenu à Tahiti. Bruat essaie alors de promouvoir l’influence française aux Îles Sous-le-Vent, par l’envoi de navires et l’organisation de fêtes au cours de longues escales. Les Anglais en font autant, refusant de reconnaître que ces îles soient concernées par le Protectorat français. Mais à Huahine, un Français résident qui a été nommé représentant officiel du Gouverneur, hisse le pavillon du Protectorat. Le 15 avril, “apprenant cette nouvelle, Ariipaea, qui réside avec sa nièce en exil à Raiatea, s’embarque aussitôt pour Fare, fait abattre le mât et ramène avec elle les chefs” présents à la cérémonie. Le résident va être alors exposé à des vexations de plus en plus graves[1]. Dès lors, Bruat demande des renforts à Paris.
Quant à Pomare, en mars, elle avait éconduit le couple Salmon venu en ambassade pour la persuader de revenir, déclarant : « J’attends l’aide de l’Angleterre qui ne m’a pas encore dit qu’elle ne m’aiderait pas. Mon peuple est sous les armes et il l’attend comme moi. C’est pourquoi je n’irai pas. Ne m’en veuillez pas»[2]. Elle suit de près ce qui se passe à Tahiti, mais elle ne dispose plus de son agent de renseignements Mataitiroa. Celui-ci, pendant les combats de 1844, faisait la liaison entre elle, les insurgés et le Consul anglais Miller, lequel lui avait accordé un laissez-passer en novembre 1844, “demandant à ce qu’il ne soit pas molesté“. Mataitiroa, pris sur le fait par le parti pro-français, est accusé d’attentat contre la sûreté intérieure de l’État et de rebellion[3].
Dans cette lettre, le Ministre rappelle ce « procès criminel qui a été intenté contre le nommé Mataitiroa, à l’occasion de menées politiques dont il s’est rendu l’instrument, procès à la suite duquel cet Indien a été condamné au bannissement par la Haute Cour Indigène », . Par la suite, Bruat s’est intéressé à cet homme, qui a fait “des révélations” et “a manifesté du repentir“, et il a informé le Ministre qu’il a dû “devoir provoquer sa grâce“.
Le Ministre approuve complètement l’attitude de Bruat, et le félicite pour son habileté. « J’ai surtout à louer le soin que vous avez eu de faire prononcer la grâce en question par le Régent Paraita après avoir consulté les sept grands juges. Le mérite de cet acte de clémence, intervenu à l’occasion de la fête du Roi[4], remonte ainsi au Gouvernement français sans qu’il ait été porté atteinte, en la forme, au principe de la souveraineté intérieure ».
Dans L’Océanie française n° 53 du 4 mai 1845, on lit[5] : Le 1er mai, jeudi, M. le gouverneur, commissaire du Roi, sur la proposition qui lui en a été adressée par les juges de la haute cour indigène, a fait grâce, au nom du Roi des Français et à l’occasion de la fête de S.M., à l’indien Mataitiroa qui, le 8 du mois de janvier dernier, avait été arrêté et condamné à l’exil perpétuel comme convaincu d’intelligences coupables avec les camps d’insurgés. Cet homme, qui jusqu’à [présent a] été détenu à bord de la frégate l’Uranie, [a] manifesté, les yeux pleins de larmes, le plus vif [re…], et il a promis de se montrer digne, par sa conduite à venir, de la clémence dont il est l’objet. – “Ma faute a été très grande, nous a-t-on rapporté qu’il a dit au gouverneur en présence de tous les chefs, et la grâce que m’accorde le Roi Louis-Philippe ne doit pas effacer en entier la peine que les juges ont prononcée contre moi. Assigne-moi le district, le coin de la terre de Tahiti où tu désires que je me retire désormais, et je vais m’y rendre à l’instant. – La clémence du Roi est sans réserve, lui a répondu le gouverneur ; va, tu es libre d’aller où il te plaira. Toutefois tu as un chef, Hitoti, duquel tu dépends ; c’est à lui que je te remets ».
« Cet événement inattendu, et qui a été pour la population indigène une nouvelle preuve que l’intervention française dans leurs affaires doit être un pouvoir modérateur et tout de bonté plutôt que sévère, a produit un effet admirable sur cette masse de naturels qui étaient venus prendre part à la fête.».
Le Ministre conclut en estimant, au vu du rapport de Bruat, « que son zèle pourra désormais être utile à la cause française ».
[1] Le Mémorial polynésien, tome II, pages 333-334, 1978.
[2] De La Roncière, La Reine Pomaré, L’Harmattan, 2003.
[3] O’Reilly, Tahitiens, 1975.
[4] Sous le règne de Louis-Philippe, la fête du Roi avait lieu le 1er mai.
[5] Quelques mots de cet article sont illisibles.
Ce dossier comprend :
Au début du mois de mars 1909, le Gouverneur Joseph François reçoit une lettre datée du 18 février en provenance de Nouvelle-Zélande, ainsi rédigée :
Je n’ai pas trouvé la trace d’un cirque Rollo, seulement celle d’un fameux équilibriste du nom de Rollo qui se produit en Nouvelle-Zélande en 1909. Cette demande ressemble à une première approche, aucun détail n’étant fourni. Elle semble avoir été transmise au Chef de la Colonie par l’intermédiaire de « M. le Consul de sa Majesté Britannique ». Le Gouverneur (Joseph François) la communique au Maire de Papeete. Il l’a aussi envoyée au Président de la Chambre de Commerce Victor Raoulx qui lui répond le 22 mars en joignant à sa lettre un sondage effectué auprès des membres de la Chambre. Il en ressort que cette institution n’est pas favorable à la venue d’un cirque. Il est rappelé qu’une demande identique, émanant « d’une troupe de saltimbanques », avait été rejetée en 1905. « Les motifs du refus de 1905 existent toujours », écrit l’un des sondés.
Ces quatre motifs sont rappelés. Trois sont d’ordre économique :
Le Gouverneur fait répondre à M. Rollo que les recettes qu’il pourra retirer de son spectacle seront insuffisantes pour couvrir les frais qu’il énumère : transport, patente (300 frs), location de terrain, etc. « Je ne puis que vous engager à renoncer à votre projet qui me paraît voué à un échec certain. »
Les raisons invoquées correspondent à de réelles préoccupations. Cependant, avec du recul, on peut penser qu’une occasion d’ouverture sur le monde a été manquée. Les colons sont frileux.
Ce document comprend trois photographies correspondant aux cinq pages d’une lettre conservée aux Archives Nationales d’Outre-Mer (ANOM), sous la référence Océanie A118 C90. Le thème est celui des relations entre la Marine et la Mission catholique.
En 1881, le contre-amiral Charles-Paul Brossard de Corbigny (1822-1900) est commandant en chef de la Division navale du Pacifique. Il arbore son pavillon sur le cuirassé Triomphante (en service de 1869 à 1903, double propulsion voile/vapeur ) Le ministre de la Marine et des Colonies est Georges Cloué, officier de marine qui connaît bien l’Océanie.
La marine française y est très présente à cette période. Le Roi Pomare V a donné ses États à la France et les Marquises ont été « pacifiées » l’année précédente. Une administration nouvelle se met en place.C’est, pour la Mission catholique, une période difficile. La « concurrence » avec les pasteurs protestants est vive. La République ayant ouvertement affirmé son idéal laïque, elle pense qu’elle ne peut plus compter sur une certaine bienveillance des autorités nationales. Il s’ensuit un état permanent de méfiance, qui se retrouve dans des détails qui peuvent nous paraître mesquins, telle cette affaire protocolaire que le contre-amiral rapporte au Ministre, en souhaitant que des instructions précises lui soient données.
L’évêque de Tahiti, Monseigneur d’Axiéri (connu sous le nom de Tepano Jaussen), n’est pas venu saluer le contre-amiral faisant escale pour la première fois à Papeete, comme le veut le protocole. Leurs relations ne peuvent donc pas être officielles, ce qui ne les empêche pas de se rencontrer fort courtoisement à plusieurs reprises, l’officier ayant besoin de renseignements que l’évêque peut lui fournir. Ce dernier finit par se faire inviter à bord, ce qui fait dire au Ministre, dans une note en marge, qu’à son insu, de Corbigny s’est fait manipuler.
Autre souci pour le contre-amiral : il s’est cru obligé, à Taiohae, d’aller saluer en premier (avant la Reine) l’évêque des Marquises, Mgr Dordillon, « parce qu’il fallait passer devant sa demeure pour aller chez la Reine et qu’il posséde d’ailleurs dans le pays une situation morale des plus méritées».
Le Ministre note que les prétentions honorifiques des évêques est exagérée, en particulier en ce qui concerne les coups de canon pour les saluer : « Voir le rapport que j’ai adressé en 1869 (je crois) et à la suite duquel le salut de 7 coups a été présenté comme pouvant être fait. L’évêque avait quinze coups, ce qui est ridicule, et il veut encore quinze coups. Il faut revenir au chiffre réglementaire» .
Le ministre était venu dans les É.F.O. en 1869 précisément, pour régler les problèmes impliquant les missionnaires catholiques aux Gambier et aux Marquises, et il n’était pas tendre envers ces derniers.
De Corbigny, qui va prendre sa retraite en cette année 1881, s’est montré conciliant, ce qui a dû énerver Cloué… qui était de confession protestante.
1- Renseignements sur ce navire : Wikipédia, site intitulé : « Classe La Galissonnière (cuirassé) ».
2- Axiéri : nom d’un ancien diocèse disparu. L’évêque à qui est attribué un tel diocèse (il y en aurait 2000) était qualifié, jusqu’en 1882, d’évêque in partibus infidelium (“en pays des infidèles”). À Tahiti, l’évêque de l’époque est à la tête d’un vicariat apostolique, c’est-à-dire une région en voie de christianisation, en attendant de devenir évêché.
3- La reine Vaekehu.
4- Dans le Code des préséances et des honneurs civils, militaires, maritimes, ecclésiastiques et funèbres (Paris, 1845), il est écrit que pour les archevêques et évêques, il sera tiré cinq coups de canon.
Ce document est une feuille jaunie de 20,8×26,8 cm, pliée en deux, donnant quatre pages manuscrites. Le Roi Pomare V, après 1016 jours de règne, a cédé ses États à la France, le 29 juin 1880.
Il continue d’être honoré comme souverain, et pour ses déplacements en dehors de Tahiti, la République française met à sa disposition un des bâtiments de guerre sur rade, en l’occurrence l’aviso à vapeur le Volage. Dans le JO des ÉFO du 3 janvier 1884, on lit : « 27 décembre. Aviso à vapeur français Volage, commandé par M. Ingouff, lieutenant de vaisseau, all. à Borabora, ayant à son bord S.M. Pomare V et sa suite.» Il est de retour le 11 janvier, apportant au gouverneur Morau la lettre du Roi. Il repart le 1er mars à destination de Borabora. Il est de retour le 6 mars avec : « passag., S.M. Pomare V, S.M. la Reine de Borabora, le prince Hinoi son mari, et 71 indigènes. » (JO des ÉFO du 13 mars). Le voyage, tant à l’aller qu’au retour, s’est effectué en 1 jour.
La raison de ce déplacement royal est le mariage du neveu du Roi, le prince Hinoi (15 ans), avec Teriimaevarua (13 ans), Reine de Bora Bora.
Hinoi (1869-1916), plus exactement Teriihinoitua, est le fils de Joinville Pomare, lui-même fils de la Reine Pomare IV. Joinville (Teriitua Tuavira, 1847-1875) a épousé en 1868 Isabelle Vahinetua Shaw (1850-1918), fille naturelle d’un commerçant anglais, William Shaw, et d’une femme de Moorea, Teina Tohi, et à laquelle le contrat de mariage (sur la demande de la Reine Pomare IV) attribue le titre de princesse. À la mort de son époux, la princesse Isabelle va vivre en concubinage avec son beau-frère Pomare V.
Teriimaevarua (1871-1932) que le prince Hinoi va épouser est la nièce de Teriimaevarua Pomare (1841-1873). Cette dernière est l’unique fille de la Reine Pomare IV et de Ariifaaite a Hiro ; elle a été adoptée par le Roi Tapoa (1800-1860), premier époux de Pomare IV. Elle devient Reine de Bora Bora à la mort de son père adoptif. N’ayant pas d’enfant, elle adopte à sa naissance en 1871 sa nièce, fille de son frère Tamatoa V. Celle-ci devient Reine de Bora Bora en 1873, jusqu’en 1895 (date de son abdication).
Ce voyage est une véritable expédition. La famille et la suite du Roi comportent plusieurs dizaines de personnes (plus de soixante-dix au voyage de retour). Ils n’arrivent pas les mains vides, mais en quantité insuffisante ; dans sa lettre du 10 janvier, le Roi précise : « Les vivres que j’ai apportés avec moi sont presque épuisés et je suis forcé d’écrire à Papeete pour renouveler mes provisions ».
Pomare V semble être dans les meilleurs termes avec le représentant de la France : « Mon cher Monsieur le Gouverneur », « Toute ma famille vous présente ses meilleurs compliments », « Tout à vous d’amitié». Il est très satisfait de l’attention dont il a été l’objet de la part du commandant du navire. Après les fêtes, il compte se rendre à Maupiti, sans doute pour raccompagner ceux qui sont venus au mariage (et dont la venue avait retardé la date de la cérémonie) ; il restera dans cette île environ un mois, avant de faire rappeler le Volage pour revenir à Tahiti. Ce déplacement à Bora-Bora est dans la pure tradition des contacts qui ont toujours existé entre les Pomare et les souverains des Îles Sous-le-Vent.
Au début de l’année 1905, l’administration de la colonie envisage la construction d’une école publique à Tautira. (Rappelons qu’en France, nous sommes en période de laïcisation de l’État, à la veille de la loi de séparation.)
Le dossier commence avec une lettre de l’instituteur de Tautira M. Hélie adressée au Receveur de l’Enregistrement. À la demande de ce dernier, il dresse la liste « des propriétaires du village de Tautira et des environs », en précisant que cette liste n’est peut-être pas exacte, et « qu’il se pourrait que d’autres personnes revendiquent la propriété de ces terres ». Sur les sept personnes mentionnées, on trouve en tête le prince Hinoi et la Reine Marau, plus trois personnes de Papeete, une de Huahine et une de Tautira. Ce sont les propriétaires de terres dites fariihau ou d’apanage. Elles appartiennent à la famille royale.
Le casse-tête de la propriété des terres a débuté au milieu du XIXème siècle. « La loi tahitienne du 24 mars 1852 donnait obligation aux natifs des Îles du Vent de déclarer leurs terres par une procédure de revendication de terres, les terres privées étant inscrites dans un registre public par une commission de cinq membres, après assentiment de l’assemblée du district, avec le nom de la terre, les limites et la contenance approximatives, le nom du ou des propriétaires déclarants. Le registre, écrit en tahitien, était déposé à la Haute cour de justice tahitienne, un double en français était déposé au Service des domaines. Les déclarations furent établies sans contrôle d’État civil, sans contrôle des limites, sans contrôle des dimensions ».
Les terres d’apanage, sur lesquels étaient édifiées des chefferies, les temples, les églises et les écoles, furent inscrites sur un registre particulier. « Les terres Farii Hau ne sont pas la propriété du Gouvernement français : elles sont destinées à assurer aux chefs de district et à leur famille des moyens d’existence en rapport avec leur position élevée»[1].
Par la suite, l’État a souhaité que ces terres d’apanage reviennent à la collectivité. Mais la famille royale et les grandes familles de chefs tiennent bon. Le décret du 24 août 1887[2] consacre leur victoire en stipulant à l’article 10 : « Toutefois, vu l’usage auquel les lois tahitiennes ont de tout temps destiné ces terres, les portions de terrains sur lesquelles sont présentement construits des bâtiments appartenant à la colonie et aux districts, tels que : chefferie, temple, église, maison d’école, ainsi qu’une zone environnante égale au double de la superficie occupée par les bâtiments restent la propriété de la colonie ou des districts ».
Les autres documents du dossier sont datés du mois d’août. Ce sont des échanges de courriers entre le Gouverneur et le défenseur (avocat) Léonce Brault. Ce dernier, agissant au nom des sept personnes mentionnées plus haut, expose au Chef de la Colonie la situation suivante : à Tautira, sur des terres farii hau, l’administration locale détient sans droit une parcelle de ces terres et « après y avoir édifié autrefois un poste de gendarmerie, se dispose maintenant à y construire l’école du district ». Cette circonstance faisant obstacle à une opération de partage de terres entamée par ses clients, le défenseur demande « de bien vouloir me faire connaître si votre administration est disposée à délaisser purement et simplement lesdites parcelles de terre, ou bien si, préférant en conserver la jouissance, elle accepterait de traiter avec mes clients par vente, échange ou location ». Le Gouverneur souhaite alors s’entretenir en tête à tête avec lui.
Il va en résulter un compromis satisfaisant pour les deux parties.
Dans une lettre datée du 24 août, Léonce Brault annonce que les propriétaires « renonçant à poursuivre contre l’administration locale la revendication […] me chargent aujourd’hui de vous informer qu’ils abandonnent, dès maintenant, à titre gratuit, en toute propriété, au district de Tautira, la parcelle de terre qui lui est nécessaire pour l’édification d’une école et le logement de l’instituteur ».
Le 28 août, une dernière lettre du défenseur reprend l’annonce de celle du 24 août, avec trois précisions. D’une part, l’accord est conclu « dans les termes et limites de l’article 10, paragraphe 3 du décret du 24 août 1887 ». D’autre part, ses clients « sont heureux d’affirmer ainsi l’intérêt qu’ils portent au district de Tautira ». Enfin, pour confirmer ce geste noble, en bas et à gauche de la lettre apparaît la mention « Lu et approuvé », avec la signature Marau Taaroa Salmon.[3]
La réalisation du « palais de la Reine » s’est poursuivie sur 24 années, de 1859 à 1883. La Reine, décédée en 1877, n’a donc jamais habité dans cette construction qu’elle avait initiée.
Dans les années 70, elle est de plus en plus préoccupée par la lenteur des travaux. Ce qu’elle appelle « mon palais », ou bien « ma maison » a un aspect extérieur qui pourrait faire penser que l’immeuble est quasiment terminé. Mais en fait, l’intérieur est inachevé, et ce qui est réalisé se dégrade faute d’occupation et d’entretien.
Le 3 décembre 1874, elle écrit au Commandant Commissaire de la République d’une part pour savoir quelle somme, récoltée auprès des contribuables, sert à la poursuite des travaux, et d’autre part pour qu’il fasse « activer les ouvriers ». Cette lettre est une feuille de format 19,5×24,8 cm qui a été pliée en quatre pour l’envoi. Le recto porte l’adresse : « Na te Tomana te auaha o te Repupirita / Papeete ». Au verso, chaque page est séparée en deux colonnes, à droite en tahitien, à gauche en français (avec mention : « Pour traduction conforme, L’interprète Letourneau »).
Le Commandant Gilbert-Pierre ne répond pas immédiatement. Il prend ses renseignements auprès du Directeur des Affaires Indigènes et du Directeur des Ponts et Chaussées.
Dans une note de trois pages du 9 décembre 1874, ce dernier fait l’historique de l’entreprise. De 1859 à 1865, 90 000 francs ont été dépensés. Il n’est pas certain que cette somme ait servi uniquement à la construction du palais. Les travaux ont repris en 1874, avec un financement de 29000 francs. Il s’est surtout agi de travaux de remise en état.
Au début de 1875, un événement d’importance va donner un nouveau coup d’accélérateur : c’est le mariage du prince héritier Ariiaue avec la jeune Marau, 14 ans, fille cadette de Ariitaimai Salmon. Les travaux réalisés à la hâte, pour environ 10 000 francs, sont « du provisoire » : nettoyage des abords, peinture, pose d’escaliers provisoires donnant accès sur la véranda pendant les fêtes, et installation d’une cuisine, »sans que cela puisse profiter en rien à l’édification du palais ».
La réponse de Gilbert-Pierre à Pomare IV est datée du 13 février 1875. Le document conservé en est le brouillon. C’est un feuillet de 4 pages 20,2×30,6 cm. Les deux premières pages sont divisées en deux colonnes et le texte figure dans les colonnes de gauche. Il est précisé qu’une copie de la situation des recouvrements opérés et à opérer, ainsi que des travaux exécutés et restant à exécuter est jointe à ce pli. Si la Reine a dû « être satisfaite des travaux qui ont été terminés dans le rez-de-chaussée du palais pour le mariage du prince Ariiaue », elle ne doit pas oublier que la situation présente un déficit de 7 742,29 francs, et que les travaux ne pourront se poursuivre que s’il y a des fonds disponibles. Si le financement se concrétise, le Commandant assure que le palais pourra être achevé avant la fin de l’année.
Mais la Reine est fatiguée ; son entourage dépense sans compter. La priorité n’est plus au palais.
C’est Ariiaue qui recevra les clés du palais, des mains du Gouverneur de la colonie, le 21 juin 1883.
Cette lettre est dactylographiée recto-verso sur les deux premières pages d’un feuillet de quatre pages, chacune de dimensions 21,7×28,1 cm. La première page est à en-tête. Il s’agit de la copie conforme d’une lettre écrite le 18 novembre 1902 adressée au maire de Papeete François Cardella (1838-1917). Cette copie fut rédigée au moins huit ans après l’original, car l’année pré-imprimée comporte un 1 à la place des dizaines.
Elle nous apprend que Cardella était franc-maçon dans cette loge depuis le 30 décembre 1868.
Cardella était arrivé dans le royaume de la Reine Pomare le 14 février 1866. La seule loge maçonnique existant alors s’appelait « Océanie française ».
Or, d’une part, cette loge ferma ses portes au début de l’année 1869, et d’autre part la loge « L’Océanie française » débuta officiellement en mars 1903. Cela semble signifier que, pendant 34 ans, les nombreux frères vivant en Océanie orientale pratiquaient leur maçonnerie en dehors d’une structure connue en métropole. Ils avaient un lieu de rendez-vous : on lit dans le JO des ÉFO, en 1889, que la société La Fraternelle se réunissait « au temple maçonnique, rue des Beaux-Arts ». Le nom de la loge fut à peine modifié. C’est le médecin Charles Albert Chassaniol (1843-1927), familier de la Reine Marau, qui signa (à l’encre bleue) cette lettre, en tant que vénérable.
C’était une lettre de soutien que « les membres de la loge maçonnique » adressèrent au maire à la suite des ennuis qu’il rencontra en 1902.
Le 23 août 1902, en effet, le gouverneur Petit l’avait suspendu, pour trois mois, de ses fonctions de maire, sans préciser les motifs. Il en fut fait mention officiellement longtemps après, dans le JO des ÉFO du 25 juin 1903 : « Considérant que le sieur Cardella, conseiller général sortant, n’était pas candidat, il n’en a pas moins adressé, le 21 août 1902 [la veille des élections pour le renouvellement des membres du Conseil général], aux électeurs de la première circonscription, une proclamation dont la violence a amené sa suspension comme maire […]» ». L’argumentation était bien mince. Précisons que le gouverneur Petit avait, selon les francs-maçons de l’époque, une femme « bigote fanatique », et il faisait tout pour lui plaire ainsi qu’aux « cléricaux catholiques acharnés à contrecarrer la fondation d’une loge maçonnique à Papeete ». Cardella avait été, comme il est rappelé à la fin de la lettre, un précurseur pour la laïcité, avec Victor Raoulx et Paul-Georges Martiny, tous les trois fondateurs en 1884 du journal politique hebdomadaire Le Messager de Tahiti.
Le 7 octobre, par décret, il fut révoqué définitivement. (C’est peu après que la lettre a été écrite.) Le 2 décembre, c’est Langomazino qui fut élu, mais il se considéra comme maire provisoire. D’ailleurs, il démissionna le 9 octobre 1903 et le 28 octobre, Cardella fut à nouveau élu maire de Papeete, fonction qu’il allait occuper jusqu’à sa mort en 1917.
Cette décision gubernatoriale était qualifiée « d’inique ». Elle « est digne d’un gouvernement autocratique et despotique et non d’une République libérale ». Et c’est un fait que le gouverneur était tout-puissant. La démocratie pratiquée en métropole était lettre morte dans la colonie.
Cette lettre de la Reine Pomare et sa traduction ont été achetées sur un site Internet en 2013 par la Société des Études océaniennes, pour être ensuite cédée au S.P.A.A. Sa version française était parue en 1944, dans le n°71 du bulletin de la S.E.O., avec d’autres documents qu’un descendant de l’amiral Bruat avait prêtés au capitaine de corvette Jean Cottez. Il semble que ces documents aient été vendus, et c’est ainsi que cette lettre s’est retrouvée mise aux enchères par un collectionneur suisse. Elle a fait l’objet d’un court article dans le B.S.E.O. n°329 de septembre 2013.
Ce document comporte 2 feuilles manuscrites. La première est une feuille de 25,7×41,5 cm, pliée en deux. Le texte manuscrit en tahitien figure sur les pages 1 et 2 ; il n’y a rien sur les pages 3 et 4. L’ensemble porte des traces de pliures pour obtenir un format 10,5×12,8 cm.
Sur la seconde (21×27 cm) est écrite la traduction en français. En haut à droite, quelqu’un (?) a écrit : « copie de la main de l’amiral Bruat ».
Dans l’angle supérieur gauche figurent en relief les lettres A et B (en gothiques) surmontées d’une couronne
Comme pour toutes les « lettres de la Reine Pomare », il est fort probable qu’il n’y ait que la signature au bas du texte en tahitien (Pomare Arii) qui soit de la main de la Reine.
La guerre coloniale prend fin le 1er janvier 1847. La Reine est alors encore en exil volontaire à Raiatea. Elle n’est donc pas présente quand Bruat, ayant souhaité que la paix revenue soit honorable pour tous, fait organiser des festivités de réconciliation. Devant l’absence de la Reine, il envisage de procéder à l’annexion, mais il apprend par Ariitaimai (épouse d’Alexandre Salmon, amie et confidente de la souveraine) qu’elle souhaite revenir à Tahiti parce que les nouvelles reçues du pays la tourmentent beaucoup. Bruat autorise Ariitaimai à aller la chercher, avec le vapeur Phaéton. Elles arrivent à Moorea le 4 février. Bruat a compris que Pomare serait sensible aux formes extérieures de déférence, aussi, dès sa première entrevue, met-il trois fois un genou à terre pour lui rendre hommage. Le 9 février, ils traversent tous deux le chenal. Après avoir fait le tour de la rade pour q
ue tous voient qu’elle est bien à bord, le contre-amiral lui fait rendre tous les honneurs à son arrivée à Papeete : troupes en grande tenue, haie d’honneur, musique militaire, 21 coups de canon, présence des officiers, des chefs de service, des commandants des bâtiments, du Régent et des principaux chefs. Au mât du Phaéton flotte le drapeau du protectorat.
Elle reçoit l’hospitalité du gouverneur et de Madame Bruat. Elle se rend compte que Bruat est différent des portraits que les Anglais ont brossé de lui pendant son temps d’exil : c’est un homme de belle prestance et d’humeur joyeuse, qui va devenir un véritable ami, chez qui elle viendra prendre le thé en voisine …
Mais à Paris, on a considéré que les hostilités ont trop traîné en longueur, et le rappel de Bruat a été décidé depuis le 6 septembre 1846. Celui-ci va quitter Tahiti le 31 mai 1847 alors que son successeur, le capitaine de vaisseau Lavaud est arrivé le 21 du même mois.
C’est donc la veille de son départ que la Reine lui adresse cette lettre, répondant à l’invitation qui lui a été faite de dresser une liste de cadeaux qu’il lui serait agréable de recevoir de la part du gouvernement français et de son Roi Louis-Philippe. Elle demande de la vaisselle, de l’ameublement, de la décoration d’intérieur, du matériel de cuisine, des étoffes, des bijoux, une couronne d’or ; elle n’oublie pas son mari pour qui elle demande des épaulettes, et pour deux de ses fils, de jolis habits militaires.
Pomare IV avait pris l’habitude, dans les années 20 et 30, de recevoir des cadeaux à chaque passage de navires anglais ; les Français vont continuer cette tradition.