Construction de l’école de Tautira sur une terre d’apanage 1905
Au début de l’année 1905, l’administration de la colonie envisage la construction d’une école publique à Tautira. (Rappelons qu’en France, nous sommes en période de laïcisation de l’État, à la veille de la loi de séparation.)
Le dossier commence avec une lettre de l’instituteur de Tautira M. Hélie adressée au Receveur de l’Enregistrement. À la demande de ce dernier, il dresse la liste « des propriétaires du village de Tautira et des environs », en précisant que cette liste n’est peut-être pas exacte, et « qu’il se pourrait que d’autres personnes revendiquent la propriété de ces terres ». Sur les sept personnes mentionnées, on trouve en tête le prince Hinoi et la Reine Marau, plus trois personnes de Papeete, une de Huahine et une de Tautira. Ce sont les propriétaires de terres dites fariihau ou d’apanage. Elles appartiennent à la famille royale.
Le casse-tête de la propriété des terres a débuté au milieu du XIXème siècle. « La loi tahitienne du 24 mars 1852 donnait obligation aux natifs des Îles du Vent de déclarer leurs terres par une procédure de revendication de terres, les terres privées étant inscrites dans un registre public par une commission de cinq membres, après assentiment de l’assemblée du district, avec le nom de la terre, les limites et la contenance approximatives, le nom du ou des propriétaires déclarants. Le registre, écrit en tahitien, était déposé à la Haute cour de justice tahitienne, un double en français était déposé au Service des domaines. Les déclarations furent établies sans contrôle d’État civil, sans contrôle des limites, sans contrôle des dimensions ».
Les terres d’apanage, sur lesquels étaient édifiées des chefferies, les temples, les églises et les écoles, furent inscrites sur un registre particulier. « Les terres Farii Hau ne sont pas la propriété du Gouvernement français : elles sont destinées à assurer aux chefs de district et à leur famille des moyens d’existence en rapport avec leur position élevée»[1].
Par la suite, l’État a souhaité que ces terres d’apanage reviennent à la collectivité. Mais la famille royale et les grandes familles de chefs tiennent bon. Le décret du 24 août 1887[2] consacre leur victoire en stipulant à l’article 10 : « Toutefois, vu l’usage auquel les lois tahitiennes ont de tout temps destiné ces terres, les portions de terrains sur lesquelles sont présentement construits des bâtiments appartenant à la colonie et aux districts, tels que : chefferie, temple, église, maison d’école, ainsi qu’une zone environnante égale au double de la superficie occupée par les bâtiments restent la propriété de la colonie ou des districts ».
Les autres documents du dossier sont datés du mois d’août. Ce sont des échanges de courriers entre le Gouverneur et le défenseur (avocat) Léonce Brault. Ce dernier, agissant au nom des sept personnes mentionnées plus haut, expose au Chef de la Colonie la situation suivante : à Tautira, sur des terres farii hau, l’administration locale détient sans droit une parcelle de ces terres et « après y avoir édifié autrefois un poste de gendarmerie, se dispose maintenant à y construire l’école du district ». Cette circonstance faisant obstacle à une opération de partage de terres entamée par ses clients, le défenseur demande « de bien vouloir me faire connaître si votre administration est disposée à délaisser purement et simplement lesdites parcelles de terre, ou bien si, préférant en conserver la jouissance, elle accepterait de traiter avec mes clients par vente, échange ou location ». Le Gouverneur souhaite alors s’entretenir en tête à tête avec lui.
Il va en résulter un compromis satisfaisant pour les deux parties.
Dans une lettre datée du 24 août, Léonce Brault annonce que les propriétaires « renonçant à poursuivre contre l’administration locale la revendication […] me chargent aujourd’hui de vous informer qu’ils abandonnent, dès maintenant, à titre gratuit, en toute propriété, au district de Tautira, la parcelle de terre qui lui est nécessaire pour l’édification d’une école et le logement de l’instituteur ».
Le 28 août, une dernière lettre du défenseur reprend l’annonce de celle du 24 août, avec trois précisions. D’une part, l’accord est conclu « dans les termes et limites de l’article 10, paragraphe 3 du décret du 24 août 1887 ». D’autre part, ses clients « sont heureux d’affirmer ainsi l’intérêt qu’ils portent au district de Tautira ». Enfin, pour confirmer ce geste noble, en bas et à gauche de la lettre apparaît la mention « Lu et approuvé », avec la signature Marau Taaroa Salmon.[3]
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