La question de la souveraineté de la Reine Pomare sur les Îles Sous-le-Vent
À la fin de l’année 1843, la reine Pomare ayant refusé de hisser le pavillon du protectorat français, Du Petit-Thouars prononça l’annexion de Tahiti (6 novembre) et installa Bruat comme gouverneur, dans la résidence de cette dernière à Papeete. Elle écrivit une lettre de protestation à Louis-Philippe, puis, en janvier 1844, se réfugia à bord du navire anglais Basilisk.
C’est en mars 1844 que les affrontements commencèrent à Tahiti (Taravao, Mahaena, Haapape, Faaa).
En juillet, Bruat apprit que le gouvernement français n’approuvait pas l’annexion. Il tenta alors un rapprochement auprès de la reine, mais celle-ci choisit de s’enfuir aux Îles Sous-le-Vent à bord du Carysforth.
Le protectorat fut rétabli en janvier 1845 par l’amiral Hamelin, qui succédait à Du Petit-Thouars.
À Paris, on n’était au courant des événements que de longs mois après qu’ils fussent survenus.
Le 10 mai 1845, le Ministre de la Marine et des Colonies de Mackau envoya à Bruat une dépêche dans laquelle il annonçait qu’il avait été mis au courant d’une demande de protectorat auprès du gouvernement anglais, écrite en juillet 1844, de la part des chefs de Raiatea, Bora Bora et Huahine. « À cette occasion, ils se sont présentés comme indépendants du pouvoir de la reine Pomaré ».La demande n’avait pas été acceptée.
Cette indépendance affirmée allait devenir un sujet sensible dans les relations diplomatiques entre la France et l’Angleterre.
D’une part, « le consul d’Angleterre [il s’agit de William Miller] a écrit à son gouvernement qu’à ses yeux, cette indépendance est bien établie ».
Mais d’autre part, du point de vue français, « il avait été généralement admis que l’autorité de la reine Pomaré s’étendait sur la totalité des îles de l’archipel de la Société ». À l’appui de cette position, le ministre citait un rapport du capitaine de corvette Maissin qui, en août 1844, exprimait « sa conviction bien établie à ce sujet : il a d’ailleurs trouvé en vigueur dans ces îles, un règlement de pilotage signé par la reine Pomaré ».
C’était un problème qui « a besoin d’être l’objet d’une enquête dont les résultats seront soumis aux deux Gouvernemens qui, seuls, peuvent prononcer d’une manière sûre et définitive ».
En attendant le résultat de l’investigation que Bruat était chargé de mener à bien, « vous n’êtes autorisé à reconnaître la légalité d’aucun acte qui aurait pour effet de préjuger d’une manière quelconque à l’égard des îles dont il s’agit, la question de leur indépendance ».
Le 14 août 1845, le ministre écrivit qu’il avait pris connaissance des initiatives de Bruat, à savoir l’envoi de navires aux Îles Sous-le-Vent pour y faire reconnaître le protectorat et arborer le pavillon, lequel avait ensuite été enlevé « par les émissaires de la reine Pomaré ». Le ministre reconnaissait que Bruat n’avait fait que de se conformer aux instructions ministérielles. « Mais cette autorisation supposait comme incontestable le fait qui précisément se trouve ici mis en doute ; c’est-à-dire le droit de souveraineté de la reine Pomaré sur la totalité des îles comprises dans la dénomination d’archipel de la Société. »
Le ministre ignorait quelle avait été l’attitude de Bruat à la suite de cette “démonstration hostile“. « Je dois donc ici raisonner hypothétiquement. »” Sa préoccupation était de ne pas déclencher d’hostilités avec les populations (et avec l’Angleterre) tant que la question de la souveraineté de la reine sur les Îles Sous-le-Vent n’aurait pas été réglée entre l’Angleterre et la France : il fallait laisser le pavillon arboré s’il était toujours en place, ne pas tenter de le hisser à nouveau s’il avait été retiré, sur les îles « où a pu s’étendre la domination plus ou moins contestée de la reine Pomaré ».
Il espérait que l’enquête demandée serait terminée avant que Bruat n’eût reçu sa lettre.
Par ailleurs, le ministre se félicitait de départ du consul général anglais Miller : « Ce fonctionnaire a répondu à votre confiance et à vos bons procédés par une conduite mystérieuse, suspecte, et visiblement contraire à nos intérêts ». Le ministre des affaires étrangères allait « faire apprécier par le gouvernement britannique la conduite de son agent ». De Mackau félicitait Bruat de ne pas avoir reconnu à Miller un caractère officiel de consul ; il fallait continuer « de réclamer préalablement l’exequatur du Roi, avant toute reconnaissance d’un consul étranger ».
Toujours dans le domaine de la diplomatie se posait le problème du salut au pavillon, acte obligé de tout navire étranger entrant dans la rade de Papeete. Allant dans le sens de Bruat (d’accord avec l’amiral Hamelin), il écrivait : “« J’approuve qu’à l’avenir vous vous borniez, en traitant du salut, à en demander un seul, qui sera de 21 coups ainsi que je l’ai prescrit, et qui s’adressera simultanément au pavillon national et à celui du protectorat ». Enfin, Bruat était félicité pour son attitude envers la reine et pour la politique qu’il menait. « J’attends avec confiance vos prochaines communications », écrivait le ministre pour conclure sa lettre.
Mais il savait que la situation n’était pas stabilisée.
Dans sa lettre du 30 août 1845 (parvenue l’année suivante à Tahiti), il réitérait ses instructions : « Rien n’est plus propre, en effet, que les nouvelles complications survenues à Raïatéa et dans les autres îles du groupe occidental, à démontrer les inconvéniens et l’inopportunité d’un système d’extension du protectorat qui ne laisse plus à l’action commune des deux gouvernemens la liberté et la latitude nécessaires ».
Le 12 août 1845, l’amiral anglais Seymour jetait de l’huile sur le feu en déclarant reconnaître officiellement l’indépendance des Îles Sous-le-Vent. Après l’échec d’un débarquement français à Huahine en janvier 1846, les hostilités reprenaient à Tahiti en mars. Elles cessèrent en décembre, et le reine revint à Tahiti en février 1847.
L’indépendance des Îles Sous-le-Vent était actée par les deux nations européennes le 19 juin 1847 par la signature de la Déclaration Jarnac-Palmerston (abolie quarante ans plus tard).
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