Rapport mensuel du Procureur de la République au Gouverneur 9 octobre 1895
Ce rapport manuscrit comporte cinq pages écrites recto/verso, de format 00×00. L’en-tête de la première page est personnalisé au nom du Chef du service judiciaire Lucien Bommier. Il s’adresse au Gouverneur Papinaud pour lui faire part « des faits saillants qui se sont produits dans mon administration pendant le mois de septembre écoulé ». Son rapport comprend trois volets : une affaire jugée au Tribunal de simple police, un rapport sur la prison de Papeete, et quelques lignes sur son mauvais état de santé. C’est le premier point que cette notice étudie.
L’affaire est révélatrice d’une certaine ambiance qui régne alors dans Papeete, cette petite commune d’environ 4 000 habitants, dans laquelle résident en permanence environ 300 colons français non-polynésiens[1] (et autant de colons “occidentaux“ autres que français). Elle a lieu le lundi 2 septembre 1895, vers midi. Monsieur Riffaud, pharmacien de 2ème classe de la Marine, sort du restaurant Renvoyé, rue de la Petite Pologne (aujourd’hui rue Gauguin) en compagnie de Messieurs Mleneck, lieutenant d’artillerie, et Agostini, Chef du service des Travaux publics. À côté du restaurant se trouve la pharmacie de Monsieur Claret. Celui-ci est « sur le seuil de sa porte, à califourchon sur une chaise ». Sur sa vitrine, il a placardé deux affiches. « Une affiche porte ces mots : “Sirop haamaitai toto“ et au dessous « Avis aux fumistes“. L’autre, le mot “Antiseptique“ et plus bas “Avis aux imbéciles“.» Riffaud s’arrête et fait « à haute voix des réflexions » qui « sans être blessantes pour Monsieur Claret, n’étaient pas de nature à le laisser indifférent ».
Ils en viennent aux mains, « roulèrent plusieurs fois sur le sol » et sont séparés par l’un des témoins de la scène.
Cette bagarre est « le résultat d’une animosité assez vive qui existe depuis déjà quelques mois entre Monsieur Claret et le corps de santé de la Colonie ». Pour Riffaud, « les épithètes de fumistes et d’imbéciles étaient à son avis dirigées contre lui et contre son Chef, Monsieur le Docteur Parnet ».
Claret a porté plainte. « À l’audience ces messieurs ont reconnu leurs torts réciproques et se sont vus condamnés chacun à dix francs d’amende par application de la loi du 3 Brumaire an IV»[2]. »Ce lamentable incident fait malgré tout sourire. Deux pharmaciens, que l’on peut ranger dans ce qu’il est convenu d’appeler « la haute société » se battent dans la rue comme des chiffonniers. L’un est fonctionnaire, dans le “public“, l’autre est “libéral“, dans le “privé“. Et l’on retrouve l’animosité des colons installés dans la Colonie qui se plaignent à longueur de temps de la charge financière démesurée que représentent les salaires et les voyages de ces nantis de passage dans les É.F.O. Il y a sans doute aussi une insinuation d’incompétence envers le service de santé (ce qui serait injuste, ce service étant de ceux dont l’action positive a souvent été mise en évidence).
Dans un si petit espace, les jalousies, les rivalités s’exacerbent. Il y a là un peu de Clochemerle…
[1] Toullelan, Tahiti colonial, p. 275. Les chiffres réels sont très difficiles à établir avec certitude.
[2] Articles 605 et 606 : « Sont punis des peines de simple police les auteurs de rixe, de voies de fait et violences légères. […]. Les peines ne peuvent être […] « au-dessous d’une amende de la valeur d’une journée de travail ou d’un jour d’emprisonnement, ni s’élever au-dessus de la valeur de trois journées de travail ou de trois jours d’emprisonnement ».
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